En réalité, le commissaire Langelier réfléchit à ces dernières semaines. Il reste persuadé que, contrairement à ce qu'affirmé l'autre connard, il n'a pas merdé. IL NE S'EST PAS TROMPÉ ! Et s'il continue à sourire, c'est parce qu'il est décidé à leur montrer qu'il n'est pas fini.
Dans un premier temps, son visage est tombé sur la table car la nappe blanche porte des traces de sang, mais le tueur a tiré ses cheveux pour le remettre à sa place. (p 93)
j'aperçois quelques sourires,des interrogations dans le regard de ceux qui m'écoutent.Y en a-t-il parmi eux qui me croient fou? J'ai envie de les rassurer,de leur dire que je n'ai jamais perdu la boule.Mais à quoi bon?
Tenté de mettre fin à cette histoire, j'ai hésité à intercepter Garambois tout de suite. Il était si près de moi que j'étais à deux doigts d'être enfin délivré. Délivré de ces mois de labeur, de planque et de renoncement
J'aurai retrouvé une vie ordinaire, devenant sinon un héros, du moins un exemple.
J'aurais pu lui faire la leçon. Mais à quoi bon ? Je l'avais laissé dans son ignorance. Ce que ne savait pas encore ce jeune lieutenant, c'est que chacun vit sa douleur différemment. Il ne faut pas juger, car personne ne sait comment il réagira le jour où un malheur le frappera. Chacun souffre à sa façon.
– Quel pas ? s’enquit Geneviève en l’observant par-dessus le bord de son mug.
– Ils ne font jamais rien. Nous ne faisons jamais rien. Je parle aussi pour moi, là. J’ai toujours cru que, ma thèse terminée, je serais écrivain et j’écrirais des trucs révolutionnaires dans mon domaine, mais soyons honnête, je ne terminerai jamais ma thèse. Ça fait six ans que je travaille dessus et quatre ans et demi que j’en suis toujours au tiers. Tout ce que je sais faire, c’est parler d’écriture, théoriser sur l’écriture, mais je suis incapable de sauter le pas, incapable d’écrire. Et pourtant, je me qualifie encore d’écrivain. Comment vous appelez ça, bon Dieu, si ce n’est pas une imposture ?
En vingt-quatre ans de carrière le brigadier-chef Antoine Fleury en a beaucoup vu, mais là, dans la chambre de cette petite fille morte, il n’a pas pu retenir ses larmes.
Le jeune policier est resté plusieurs secondes à la regarder, incrédule. Incapable de bouger ni d’appeler. C’est le premier cadavre qu’il voit de sa vie. Il n’a pas eu la force, ou le courage, d’approcher. Ce qu’il a découvert lui semble si irréel. Puis il a poussé un cri, presque un cri de panique :
« Fleury, viens vite ! Vite ! »
Il a continué à hurler sa peur quand le brigadier-chef l’a enfin rejoint.
Elle est allongée sur le carrelage derrière la table. La gorge tranchée, les cheveux bruns noyés dans une flaque de sang séché. Les mains sont jointes sur un chemisier turquoise couvert de sang.
Ce n’est que bien plus tard que ce premier crime prendra l’ampleur qu’on lui connaît.