Quoi de neuf, petit homme ? (Et puis après ?)

En bas, en dessous d'elle, c'est la rue, le chemin champêtre tout cabossé avec les sillons de sable, et l'herbe, et l'arroche, et le laiteron. Et puis il y a le champ de trèfle, et maintenant elle sent son parfum, rien n'est plus merveilleux que l'odeur du trèfle en fleur qui a pris le soleil toute la journée.
Et après le champ de trèfle viennent d'autres champs, des jaunes et des verts, et les quelques soles de seigle sont déjà déchaumées. Et puis ensuite, il y a une bande d'un vert très profond - des prairies -, et entre les saules et les aulnes et les peupliers coule la Strela, toute fluette ici, une petite rivière seulement.
Vers Platz, pense Bichette. Vers mon Platz, où j'ai trimé, où j'ai souffert, où j'étais toute seule, dans un appartement donnant sur la cour. Que des pierres, des murs... Ici, tout va à l'infini.

La vague monte et monte encore. C est la plage nocturne entre Lehnsan et Wiek, une fois déjà, les étoiles furent si près Cest le bonheur ancien, c'est l'amour ancien. Encore plus haut, toujours plus haut, de la terre maculée jusqu'aux étoiles. Et puis ils entrent tous les deux dans la maison où le Mouflet dort.

Chaque dimanche est suivi inéluctablement par un lundi, même si le dimanche matin à onze heures on croit fort que c'est une éternité plus tard.

C'est inscrit au plus profond de lui même, ils veulent tous que je fasse quelque chose pour eux, mais pour moi ils ne veulent rien faire. Que je crève ou pas, ils s'en foutent royalement, que je puisse aller au cinéma ou pas, ils s'en battent les flancs, que Bichette puisse se nourrir correctement, ou bien qu'elle ait trop d'émotions, que le Mouflet soit heureux ou miséreux - qui s'en préoccupe?

Bichette voulait juste tenir son Môme quelques instants dans ses bras, dehors il y avait le vaste monde, sauvage, hostile, tapageur, qui ne savait et ne voulait rien de bon de vous - est ce que ce n'était pas bien d'être allongés l'un contre l'autre, et de se sentir comme une petite île chaude?

Bichette est assise dans sa chambre princière et elle raccommode des bas. En soi, il n'y a pas d'occupation plus déprimante sur terre que le raccommodage des bas. Rien ne démontre mieux aux femmes la vaine démence de leur activité que le raccommodage des bas. Car quand ça a vraiment lâché une fois, c'est inutile et ce devra être refait d'une lessive sur l'autre.

Avec les nazis, on ne s'ennuyait jamais. Il fut rapidement intégré à l'assaut ; lors des échauffourées il se révéla un jeune homme extraordinairement bien avisé, qui savait manier ses grosses pattes (et ce qui s'y trouvait à ce moment-là) avec un sens presque artistique de l'effet produit.

Ceux qui étaient restés, toutefois, les plus pauvres, les plus durs, les plus courageux, se sentaient d'une certaine manière du même bord, et le pire c'est qu'ils n'étaient malgré tout justement pas du même bord ; ils étaient soit communistes, soit nazis, et il y avait sans discontinuer des disputes et des bagarres.

Mais avant, tout était si différent. Ils étaient jeunes, ils étaient amoureux, un rayon de soleil parcourait tout, une veine brillante t argentée traversait même les roches les plus sombres. Aujourd'hui, tout est réduit à néant, des montagnes de gravats sinistres, et au milieu de tout ça, parfois un morceau qui rayonne. Et à nouveau des gravats. Et à nouveau un peu de soleil. Ils sont encore jeunes, ils s'aiment encore....

La pauvreté n'est pas seulement la misère, la pauvreté est aussi un crime. La pauvreté est une tare, la pauvreté est suspecte.