Citations sur Lanterne magique (8)
Le travail est une chose élevée digne, excellente et morale, mais assez fastidieuse à la longue.
Ils ont tué notre confiance, ils ont fait naître dans notre cœur la bête fétide, la puantise du doute. C'est bien cela l'ennemi: c'est celui dans lequel nous ne croyons plus. Car les hommes vivent de confiance et ils meurent de doutes.
MÉLANCOLIE
Extrait 3
Nous prenons l'habitude de la laisser faire
parce qu'elle agit d'elle-même au-dedans de
nous et fait son ménage comme elle l'entend,
sans notre intervention : aussitôt, le monde
se couvre de nappes funèbres. Que ne nous
apprend-on à cultiver nos dons d'espérance ?
Un bon moyen de la vaincre : L'état de tristesse
où nous vivons nos offre une occasion uni-
que de nous concentrer, de nous approfondir,
nous qui dispersions toujours nos forces,
nous qui n'avions jamais assez de temps de
penser à notre métier, à notre amour, à notre
destin, à toutes les choses simples et essen-
tielles de la vie, enfin à ces choses dont les
hommes, dans leur légèreté, remettaient tou-
jours au lendemain l'examen.
p.61-62
MÉLANCOLIE
Extrait 2
Moi, je l'ai vue, la Mélancolie, sous l'aspect
d'une vieille demoiselle aux yeux couleur
d'huître embus de cataracte, à la démarche
molle et méfiante de fantôme découvert, au
souffle mince et dévorant de théière mal fer-
mée. Je connais ses lunettes violâtres de
patronne de girls, son chien géant aux pattes
fondantes, ses joues vertes, son ombre longue
comme une rue. Elle ronronne ses impressions
à votre oreille et vous envahit de rêves amers.
Je l'ai devinée par instants penchée sur moi
comme une grande épingle amoureuse. Elle
ne manque jamais son heure, à l'époque des
prix de vertu ou dans la première quinzaine
de janvier.
Je sais par expérience qu'il est difficile de
la jeter dehors aussi simplement qu'un pla-
cier en aspirateurs.
p.61
MÉLANCOLIE
Extrait 1
Une patrouille de moustiques danse parfois
sur notre tête, comme une petite chevelure
triste, comme un feu Saint-Elme à la pointe
d'un mât nocturne. Cette avant-garde de dip-
tères, microcosmes de medecins-tant-pis, tom-
be des pistils de l'éclairage en veilleuse, se
glisse le long des rues, s'écrit dans les maisons,
tente de brouiller les ménages, s'infiltre dans
les cafés, trouble les propos sans mandat bien
précis du client sérieux, dérange enfin les pro-
pos des stratèges groupés comme des cham-
pignons dans une clairière. (Mais les champi-
gnons ne sont-ils pas les habitués d'un café
de gnomes ?)
Ces moustiques nous injectent à tous un
paludisme particulier, celui de la Mélancolie
de quelque nom qu'on la nomme…
p.60
NOTES SUR LA POÉSIE
J'ai joué ma vie sur le fait poétique. J'étais
né dans la poésie. J'en ai reçu les sorcel-
leries, les traces de rêve, les mouvements de
passion pour la matière, les diagnostics divins
ou diaboliques. Cette Nature que j'ai une fois
appelée au second degré, la poésie peut la
provoquer, lui donner forme par une action
intense et imperceptible. Ses démarches me
sont familières et ses tâtonnements dans le
monde du miracle me sont connus. Je n'ignore
rien de ses visites en pays de rigueur, de
douleur ou d'humour, de ses croisières en
mers de magie où le mathématique et le reli-
gieux peuvent se mêler au populaire, où le
minéral peut avoir une âme de végétal et le
végétal une sensibilité d'homme, où les chi-
mies se confondent avec les kermesses, les
couleurs avec les nombres.
…
p.36-37
NOTES SUR LA POÉSIE
Voici quelques siècles, un écrivain qui eut
son heure, Henry Spont, télégraphiait à je ne
sais quel enquêteur : « Naturalisme pas
mort ! Lettre suit ! »
Naguère, il ne se passait pas de jours qu'on
ne m'annonçât sous quelque forme la mort de
la Poésie. Pas un bon Français qui ne parût
impatient de bornioliser la Muse. Elle était
bien malade, la pauvre. On l'accueillait de
moins en moins chez les vivants. Elle ne se
vendait plus. De toutes façons, elle n'aurait
pas fait long feu. Cela valait mieux pour elle.
Du moins, l'infortunée s'était éteinte sans
douleur…
Aujourd'hui, c'est : « Poésie pas morte ! »
qu'il faut lancer. Mais il n'y a pas de lettre à
faire suivre. Car il n'y a pas grand'chose à
dire sur la poésie et sur les poètes. Il faut
les lire.
…
p.32-33
Texte écrit en 1944 : Actuel ! non !!
La pensée, oui, dans une belle chair