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Citations sur La Péremption (15)

C'est cela vieillir : s'étonner un peu moins chaque jour du caractère banal de nos particularités. Admettre de n'être exceptionnelle en rien, destinée à mourir dans un anonymat de personne normale, comme tout le monde. Et sans que cela ne change rien au cours des choses du monde.
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Il me rendait à une projection que, rétrospectivement, je me faisais d'un Paris désirable. Grâce à lui, je prenais enfin ma part de ces terrasses de café estivales et pleines de jeunesse dont je n'avais su profiter lorsque j'en avais l'âge. À vingt-six ans, tu ignores que c'est ta génération qui donne à la capitale de ce pays sa tonalité et sa vitalité. À vingt-six ans, tu te dis simplement : Mon Dieu, j'aurai bientôt trente ans et je n'ai rien fait. Et tu expédies ton demi de bière ou ton ballon de mauvais blanc sans te rendre compte que tout le monde, à cette terrasse, a les mêmes vingt-six ans pleins de menus soucis que les tiens. Et que tous ces vingt-six ans réunis font la vitrine de la ville et rêver ceux qui les ont franchis depuis longtemps, ces vingt-six ans. Parce qu'à vingt-six ans, tu ne possèdes pas encore la sagesse nécessaire pour sanctifier ces instants, dont rien ne te laisse supposer qu'ils feront plus tard l'objet de ta nostalgie.
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L'art, c'est comme les bons sentiments : un caprice de nantis, d'esthètes et de naïfs. Pendant la première vague de la pandémie, j'avais été la seule enseignante du lycée à trouver regrettable mais réaliste que les cinémas, les théâtres et les musées se retrouvent catégorisés "activités non essentielles". Il faut avoir approché le monde, le vrai, celui où règnent la cupidité et les rapports de force, pour comprendre que la poésie et la beauté, le goût des idées et de l'élévation d'esprit y jouissent de moins de considération que le bol d'arachides ou de chips qui agrémente les tables de bar des hôtels où s'affrontent les pouvoirs.
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Il est aisé de se montrer compréhensive dans l’indétermination. Tous ces jeunes si je ne les avais pas jugés, c’est uniquement parce que je ne tenais moi-même à rien pour de bon

A la mort de leurs parents, il y a ceux qui se sentent libérés de n’avoir plus rien à prouver à personne et ceux qui éprouvent ce vertige de se retrouver brutalement au plein milieu de l’océan, seuls maitre à bord de leur vie, seuls avec leurs choix. Sans plus personne que soi-même à qui prouver quoi que ce soit

Parce qu’à 26 ans, tu ne possèdes pas encore la sagesse nécessaire pour sanctifier ces instants dont rien ne te laisse supposer qu’ils feront plus tard l’objet de ta nostalgie. Même si cette sagesse-là, on ne l’acquiert jamais tout fait

Au fil des décennies, la sécurité et l’opulence auront engendré pire que le gout du risque inutile : en nous faisant davantage témoins des tragédies du monde, en nous indignant plus fort que les autres, nous avons désacralisé la tragédie. Nous avons donné du sens à nos existences en inventant le frisson
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Que pouvais-je entendre à sa sensibilité neuve de jeune homme moderne aux mots littérature ou roman ? Moi dont la génération s'était fait encore imposer au collège les manuels de Lagarde et Michard? 300 ou 400 pages de bloc de texte imprimé à l'encre et relié à la colle sous une sommaire couverture en carton, rédigées dans une langue obsolète, sans photos, ni vidéos, ni liens hypertexte, cela pouvait-il revêtir encore un sens, en 2022 ?
Possédait-on encore vis-à-vis des mots cette foi, cette patience et cette faculté d'imagination qui étaient tant bien que mal parvenues à traverser les millénaires depuis, mettons, la Bible? Devenir un écrivain fort d'un lectorat de 30 000 personnes dans le meilleur des cas, cela pouvait-il aujourd'hui présenter un idéal aussi enviable que d'atteindre 300 000 like avec un reel beauté Instagram, un challenge Ce matin je vends un steak haché à ma boulangère ou un trend chaton sur Tik Tok ? Garnir d'étagère de livres les murs de sa chambre de bonne, est-ce que cela paraissait toujours digne de convoitise aux yeux d'un type ou d'une fille de 25 ans ? (p33,34)
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Elle me rappelait cette fille aux dents mal positionnées, peut-être kurde ou iranienne, assise en tailleur sur la moquette pelée de l’appartement de Mathieu. C’était a Pâques, lors de l’un de ces apéritifs qu’il improvisait pour les bénévoles et les paumés de son association. Au moment des présentations, sans prendre la peine de se lever ni de me tendre la main, la fille m’avait souri avec méchanceté derrière son gobelet: « Toi, je t’aime pas. »

C’était sorti tel quel, sans le moindre indice préalable d’hostilité. Elle ne semblait ni alco
olisé, ni droguée. Juste portée par l’assurance que rien ne valait un bon accès de franchise dans ce monde de grimaces et de minauderies bourgeoises. Tout aussi surpris que moi par sa phrase, Mathieu avait rigolé pour détendre l’atmosphère. Puis, se rendant à l’évidence que la fille ne plaisantait pas, il était retourné à ses bouteilles de muscadet à déboucher et ses sachets d’amuse-gueules à transvaser dans ses petits saladiers en pyrex.

Ces mots m’avaient gâché le reste de la soirée. Pourtant, j’avais continué à faire bonne figure aux yeux des miséreux de Mathieu. Je me demandais ce qui, dans mon apparence, pouvait bien avoir suscité l’agressivité de la fille. Mes sourires trop appuyés? Mon air d’emblée trop amical qu’elle avait dû prendre pour de l’hypocrisie? Mon ton trop éduqué ? Bref, ma trop objective « francité »? J’avais beau me convaincre que le problème venait de son côté, qu’elle vivait peut-être sous antidépresseurs, quelque chose en moi accueillait sa hargne. Mieux: approuvait cette loi de la nature en vertu de laquelle c’est le premier qui frappe qui a raison, quels que soient ses motifs.
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Je me demandais si, malgré tous les efforts que j'avais déployés devant Furio enfant pour paraître une mère à la fois présente, légère et divertissante à ses yeux, il n'avait pas saisi qu'au fond, il ne s'agissait que d'un grimage destiné à le préserver de l'impensable, à savoir qu'aimer, chez moi, c'était comme croire: cela n'allait pas de soi. (p37)
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Furio, rien ne retient durablement son attention, rien. à quoi bon avoir mis à sa disposition notre bibliothèque dès le plus jeune âge, l'avoir emmené au musée, avoir reçu à la maison des gens à la conversation intelligente, n'avoir jamais allumé la télé en sa présence, hein? à quoi bon?
Je sentais bien que, sans oser me le reprocher de front, Alessandro accusait en creux par ce détail une résurgence génétique chez notre fils des médiocres centres d'intérêt de mon père. Il y avait passé son temps jusqu'à sa mort, lui, devant la télévision. (...) Alessandro essayait tant bien que mal de ne pas lui en vouloir. Et, par conséquent, il ne pouvait s'empêcher de régulièrement l'humilier à la pointe sèche. Chez Sonia Rykiel, tu as l'intention de rester vendeur ad vitam où tu as des possibilités d'évoluer un peu ? Furio se défendait avec autant d'ironie qu'il pouvait. Bah, rester vendeur si j'ai de la chance. Au cas où je perds le job, je pourrais toujours postuler pour faire vigile tu vois. Mais, avec mon gabarit, papa, pas sûr que j'aie mes chances.
Les relations humaines seraient si simples si chacun consentait à ravaler ses affects en préambule de tout échange.
Tout le monde n'a pas le pouvoir de prendre la même hauteur que toi sur les choses, Zélie. Pardonne-nous notre misérable condition d'êtres de chair, d'humeurs et de sang. (p35,36)
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Pour faire la conversation à Darel - et, par la, pour faire plaisir à Furio à qui je n’osais demander si lui et Darel étaient également amants, j'avais hasardé le nom d'Hervé Guibert. Darel m'avait toisé avec cette compassion amusée qu'on pouvait réserver, de mon temps, à un admirateur du violoniste André Rieu ou du saxophoniste Kenny G.
J'avais pensé rectifier le tir en lançant celui de Guillaume Dustan, moins consensuel. Lui, c'est vrai, on peut pas complètement nier qu'il a eu sa part dans le mouvement global, m'avait concédé Darel avec mansuétude. Mais je dirais qu'il reste quand même assez peu challengeant, vu l'importance du contexte, avait-il ajouté pour que je ne me fasse pas trop d'illusions non plus sur la pertinence de mes références archaïques. (p32)
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Furio n'était pas méchant. Seulement, sur son visage à lui, l'ostensiblement soucieux se muait en ouvertement hostile chaque fois qu'il évoquait l'association. Comme si tout interlocuteur qui y était étranger représentait par principe un non-sympathisant de la cause. Si tu n'es pas avec moi, c'est que tu es contre moi: je ne me serais pas risqué à prétendre qu'au-delà de la nature émotive de mon fils, la formule me paraissait assez bien se prêter à l'agressivité ambiante, tant dans la rue que sur les fameux réseaux sociaux. Agressivité dont je ne me serais pas davantage risquée à prétendre qu'elle était plus manifeste aujourd'hui qu'autrefois. Il n'y a pas d'âge d'or de quoi que ce soit. Seulement la nature humaine qui, au sein d'une société donnée, se précise au fil des générations.
Cette acrimonie de principe, était-ce pour Furio, qui n'avait pas poussé plus loin que son baccalauréat professionnel, une façon de manifester avec zèle son implication ? Afin de donner le change face à la plupart des membres de l'association, parmi lesquels se trouvaient une majorité d'étudiants ? Son meilleur ami Darel, par exemple, un peu plus âgé que lui, avait entamé un doctorat de lettre moderne dont le sujet touchait, sans surprise, aux minorités sexuelles et de genre. Il avait échafaudé pour son mémoire de thèse un titre qui ressemblait à Stratégie de survie chez les écrivants genderqueer d'expression française, ou Résistance éthique chez les autofictifs non binaires en espace francophone, quelque chose comme ça. (p31,32)
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