J'aurais voulu dire que je les ai aimés comme je n'ai jamais aimé personne. Que sans eux je ne suis rien. Qu'un homme seul est un homme condamné. Mais il fallait le leur dire avant qu'ils partent. On ne dit jamais les mots qu'il faudrait à ceux qui nous entourent. Par pudeur, bêtise ou faiblesse. Après, règne le silence du trop tard. Irrémédiablement.
On croit longtemps vivre entouré de gens, de proches, d'une famille aimante. A force d'habitude, on se croit préservé à jamais du malheur et de la solitude, pièce indispensable dans la grande mosaïque du monde. Et puis, un jour, la mosaïque se fendille et les joints éclatent, jusqu'à ce que chacune des pièces qui constituaient cette étrange fresque humaine s'isole un peu plus des autres. Alors on se retrouve seul face à son reflet dans le miroir, seul dans le cortège des jours qui défilent, et on comprend qu'il n'en était rien.
Printemps gris, été vert, automne rouge et hiver blanc. Parfois la nature se joue des hommes en leur offrant un décor différent, comme pour leur prouver qu'ils ne la possèderont jamais.
Je passais mon temps à lire des récits de voyage et des romans d'aventures. Grâce à la bibliothèque de mon père, je découvris qu'on pouvait voyager à travers le monde sans jamais bouger de chez soi.
Je suis tombé ce matin au champ de bataille
Comme tant d'autres victimes d'une guerre inutile
Et voilà que lentement mon âme vacille
Ma pauvre vie, vraiment, ne vaut plus rien qui vaille.
Je ne suis qu’une ombre dans un tombeau d’étoiles
Une ombre noire allongée dans un cercueil d’or
Et lorsque soufflera le zéphyr de la mort
Vers les froides ténèbres je mettrai la voile.
Je me suis toujours demandé s'il fallait raconter cette histoire. Lorsque j'y songe, tout cela ressemble à un naufrage. Il y a d'abord les souvenirs teintés de remords et de désespoir, souvenirs amers que je croyais à jamais enfouis dans les limbes de ma mémoire, adoucis, effacés même par le temps et l'oubli. Les blessures et les meurtrissures, les traumatismes, les choses tues, les interdits et les non-dit, ces océans de tristesse où l'on s'abîme à force de silence. Enfin il y a les albums de photographies anciennes que l'on feuillette en sachant toutefois que, dès la première page, les parfums du passé vous sauteront au visage et vous enivreront d'une fragrance mélancolique trop longtemps contenue.Il faut parfois se faire violence pour faire resurgir des archives de la mémoire ce qu'elles contiennent de plus sombre, et exposer en pleine lumière ces zones d'ombre que l'on croyait ensevelies pour toujours.
Jusqu'à la mort de Roche, ce témoignage m'aurait paru indécent. Lui qui avait vécu tout cela, qui en était le principal protagoniste, n'en parlait jamais. C'était un accord tacite entre le monde et lui. Sa manière de se protéger et de se forger une carapace en apposant sur ces journées d'effroi le sceau du secret.
J'aurais voulu dire que je les ai aimés comme je n'ai jamais aimé personne. Que sans eux je ne suis rien. Qu'un homme seul est un homme condamné. Mais il fallait le leur dire avant qu'ils partent. On ne dit jamais les mots qu'il faudrait à ceux qui nous entourent. Par pudeur,bêtise ou faiblesse. Après ,règne
le silence du trop tard. Irrémédiablement.
car nous savions tous que si cet homme avait choisi la voie des liqueurs, c'était parce qu'il n'avait pas trouvé celle du coeur.
Dans chaque constellation, il existe des étoiles disparues depuis des siècles et qui pourtant luisent encore. Dans chaque vie, il y a ces mêmes étoiles composées de réminiscences.