Le radeau de la Gorgone - Promenades en Sicile

incipit :
Je suis venu pour la première fois en Sicile, comme la plupart des voyageurs, à la recherche des vestiges de la civilisation grecque. Ségeste, Sélinonte, Agrigente, Syracuse, le théâtre en plein air de Taormine, les ruines désolées de Solonte : qui n'a rêvé à ces noms magiques ?

« Le désordre premier du monde ne s’est jamais tout à fait apaisé en Sicile »

« Au marché, parmi les entassements de victuailles, […] c’est là qu’il faut d’abord aller, c’est là qu’il faut se perdre au milieu de la foule. […] Excitation des cris, entêtement de l’abondance , ivresse des couleurs, vertige des odeurs : une sorte de baroque spontané, un feu d’artifice d’émotions premières, qui donne envie de connaître l’autre baroque, le baroque savant, produit par les hommes de culture ».

Lave, basalte, prisme noircis, coulées d’orgues, chaos de rocs calcinés : bien avant de se heurter aux vestiges des mythes grecs, on est confronté, en Sicile, à la violence originelle de la matière, au désordre premier du monde, qui ne s’est jamais tout à fait apaisé ici.

« Pourquoi diluer mes émotions sur l’étendue trop vaste des eaux, quand je puis rêver, un morceau de soufre refroidi dans ma paume, sur l’obscur travail de fermentation, d’éclatements, de déflagrations d’où l’univers a jailli, en ne laissant , pour témoignage de sa laborieuse genèse, que ces trainées d’or qui fument en bordure du cratère ? »

p.31

Les civilisations se sont succédé en Sicile, sans que la naissance de l’une entraînât la mort de l’autre. Elles coïncident encore. Elles ont décliné et disparu l’une après l’autre, tout en restant présentes. Chacune, en s’éteignant, a transmis un peu de sa splendeur à l’autre. Chaque crépuscule a laissé ses dorures.