Le songe est une autre manière de vie et la part de rêve que peut accepter l'esprit est grande. (p.83)
C'est ainsi qu'ils quittèrent la ville, dans la colère des femmes, le silence abruti des maris et les pleurs des enfants. Non pas que cela changeât beaucoup de l'ordinaire des humeurs, mais ils étaient expulsés tels des cafards indésirables, c'était une offense autant qu'une blessure. Ils reprenaient la route. Ils abandonnaient deux caravanes défoncées, le corps d'une vieille et celui d'un enfant.
La vieille dit : L'amour c'est le plus difficile. ça vous prend, ça vous malmène, ça vous agite. Et puis quand on croit que c'est gagné, qu'on a dans sa vie celui qu'on voulait, ça se lasse, ça se fatigue, ça se remplit de doute.
Mais c'est que dans ce manège qu'on a l'impression de vivre.
Elle dit : Ma fille, tu as toujours eu la tristesse en toi. Je l'ai vu le premier jour où tu es venue vers moi. Derrière ton sourire, je l'ai vu. C'est bien vrai que la vie est pleine de nuages. Et nous sommes à l'intérieur des nuages. Et parfois c'est si noir que le noir vient en nous.
Les enfants c'est le bonheur et la faiblesse des femmes. C'est par là seulement qu'on peut les abattre.
le bonheur nous rend la beauté et notre âme éclaire notre corps.
Il y avait un secret au coeur des mots. Il suffisait de lire pour entendre et voir, et l'on n'avait que du papier entre les mains. Il y avait dans les mots des images et des bruits, la place de nos peurs et de quoi nourrir nos coeurs.
Il lui sembla qu'aux enfants on ne pouvait déjà raconter les ruptures, les traits qu'on tire sur le passé et les amours qui s'égarent, et que tout cela ne vous tue pas, et peut vivifier ce qui reste en vous d'élan et de sagesse.
Peut être croyait-il qu'on ne fait pas à une mère la blessure de la quitter, parce que cette plaie ne se referme jamais.
Ou bien il ignorait que les autres continuent de vivre hors de nous, qu'ils ne meurent pas toujours pendant que l'on voyage.
Mais il restait là, voulait encore se faire bercer de paroles. Parce que c'était bon de ne pas être silencieux et seul avec sa douleur, et parce qu'il doit y avoir des moments comme celui là, où l'on voudrait ne jamais s'arrêter de faire des confidences, de dévoiler son trouble et sa peine, et la difficulté d'être.