Esther prenait son livre. Ils ne bougeaient plus et hormis quelques reniflements, le silence était total. Elle ignorait qui, de la chaleur ou de l'histoire, les apaisait d'un seul coup, sans qu'ils ne demandent rien. Ils ne sont pas difficiles, se disait-elle. Jamais ils ne réclamaient jamais ils n'avaient soif ou faim comme d'autres enfants qui ont sans arrêt besoin de quelque chose. Elle lisait dans ce calme. On entendait juste le ronflement d'air chaud. Les enfants avaient posé les mains sur leurs cuisses.\"
.Elle lisait, et le reste attendait. Le monde était évanoui, et morte ainsi sa dureté, et le froid des jours d'automne oublié lui aussi.
Elle les installa, les petits à côté d'elle, les grands juste derrière. Et elle commença à raconter l'enfance de Babar. Elle lut comme jamais elle ne l'avait fait, même pour ses garçons : elle lut comme si cela pouvait tout changer.\"
... \"Elle lu avec de la tendresse pour eux et de la foi dans les histoires. Et elle n'avait ni crainte ni question, est-ce-que c'était artificiel, utile, naïf, stupide, de venir ainsi, sans prévenir, sans demander, pour lire des histoires à des enfants. Un élan la portait.
Qu’Angéline eût à ce point un empire sur ses enfants, voilà ce qui agaçait le plus Héléna. Mais elle n’avait jamais pris le temps de trouver la raison de cette domination, au lieu de quoi elle tirait dessus sans réfléchir.
Angéline avait trois secrets : elle savait ce qu’elle voulait, elle avait compris ce qui était possible (c’est-à-dire que tout ne l’était pas) et aussi ce qui se tait avec profit. Cela faisait beaucoup de sagesse.
Quand ils avaient les livres pour eux seuls, ils ne les lisaient pas. Ils s’asseyaient, les tenaient sur leurs genoux, regardaient les images en tournant les pages délicatement. Ils touchaient. Palper doit être le geste quand on possède, car c’était ce qu’ils faisaient, palper, soupeser, retourner l’objet dans tous les sens.
Esther crut être pour eux un mystère. Elle se trompait : elle était la gadjé et c’était une insulte. Elle n’était pas un objet sur lequel ils se seraient pris à penser. C’étaient les livres qui faisaient rêver la vieille. Elle n’en avait jamais eu. Mais elle savait, par intuition et par intelligence, que les livres étaient autre chose encore que du papier des mots et des histoires : une manière d’être. La vieille ne savait pas lire mais voulait ce signe dans sa caravane.