Une douleur nouvelle agissait sur elle comme une sorte d'antidote. Elle devenait combative, déterminée, comme une personne qui sait qu'elle va se noyer, mais qui, malgré elle, remue bras et jambes pour rester à la surface.
Etre né dans cette ville - écrivis-je même une fois, ne pensant pas à moi mais au pessimisme de Lila - ne sert qu'à une chose : savoir depuis toujours, presque d'instinct, ce qu'aujourd'hui tout le monde commence à soutenir avec mille nuances : le rêve du progrès sans limites est, en réalité, un cauchemar rempli de férocité et de mort.
Aussitôt après l'enterrement, je me sentis comme lorsqu'on est surpris par une violente averse et qu'on regarde autour de soi, sans pouvoir trouver d'abri.
Elle était toujours ce même être inquiet doué d'une irrésistible force d'attraction, qui la rendait unique. Tout ce qu'elle faisait en bien ou en mal (...), était beaucoup plus intense que ce que nous faisions, et c'est pour cela que son temps semblait s'écouler au ralenti.
Ils avaient tous l'air heureux que je sois de nouveaux parmi eux et ils m'entrainaient avec générosité dans leurs vies.
"Qu'est-ce que ça veut dire, que Nino est d'une intelligence sans traditions ?"
Elle me regarda ironique :
"Ca veut dire qu'il n'est personne. Et quand on n'est personne, devenir quelqu'un est plus important que tout. C'est pourquoi ce M. Sarratore n'est pas une personne fiable.
Au moindre ton un peu sec de sa part, j'étais effrayée, j'avais peur de devoir reconnaître que quelque chose ne marchait pas entre nous.
" Lila l'avait initiée à l'idée d'un déferlement permanent de splendeurs et de misères, à l’intérieur d'une Naples cyclique où tout était merveilleux avant de devenir gris et absurde, et avant de scintiller à nouveau, comme lorsqu'un nuage passe devant le soleil et au'on a l'impression que celui-ci se cache[....]une fois le nuage dissipé le soleil redevient soudain aveuglant et il faut se protéger les yeux de la main tant il est ardent. Dans les récits de Lila, palais et jardins tombaient en ruine, retournaient à la nature, parfois peuples de nymphes, dryades, satyres et faunes ; ils étaient habités tantôt par des morts, tantôt par des démons que Dieu envoyait dans les châteaux mais aussi dans les maisons de gens ordinaires, pour leur faire expier leurs péchés ou pour mettre à l'épreuve les occupants à l'âme pure..."
Lila recommença à me fixer, bouche entrouverte. Comme toujours, elle s’attribuait le devoir de me planter une aiguille dans le cœur, non pour qu’il s’arrête mais pour qu’il batte plus fort.
Même au sein d'un couple qui s'aime, bien des paroles demeurent indicibles, et le risque est grand que d'autres personnes les prononcent, provoquant la destruction de ce couple.