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Citations sur Scrabble (16)

Il faudrait tout mettre sur la table et vider les tiroirs, vider aussi les placards encombrés de cadavres, Blancs, Noirs, innocents et coupables : l'argent n'a pas plus de couleur que d'odeur. Alors, un seul sentiment subsisterait peut-être : la honte. La honte devant l'ignorance ou la veulerie des opinions publiques, des guerres qu'on mène pourtant en leur nom, le commerce des armes et celui des votes, tous les petits arrangements entre les dictatures et les démocraties qui durent depuis si longtemps en Afrique, entre les ressources minières et les placements financiers, l'apologie des cultures authentiques et les falsifications continuelles, la défense des valeurs universelles et la promotion des intérêts particuliers.
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Trouver de la nourriture. Se protéger des prédateurs. Élever les enfants. Survivre et s'entraider. Veiller sur son territoire. Résoudre les problèmes liés à leur environnement; Il m'apparaît clairement, dans ma cervelle d'enfant, que les animaux sont comme nous et que nous avons peut-être même été créés à leur image. Il me semble indiscutable que certains d'entre eux sont des êtres vivants comme les autres, ambigus, torturés et fascinants. Ils ont une vie intérieure ( il suffit d'entendre Sao grogner ou geindre dans son sommeil ou de voir Dick, le regard perdu dans ses pensées ) et une immense capacité à signifier.



Je vois bien qu'il y a plusieurs sortes de cabris : les intelligents, les flemmards, les batailleurs, les réfractaires. Je note que Babou la guenon montre les dents quand elle rit, comme nous, et aussi quand elle a peur, comme nous. J'observe les muscles de leurs visages, si semblables aux nôtres, ou la manière dont ils remuent leurs oreilles pour nous faire comprendre quelque chose que nous ne voulons pas entendre. Pour moi, il est évident que les animaux ont le sens de l'humour : la chevrette qui s'obstine à me déculotter quand nous luttons tous deux dans la poussière de la cour, sans jamais pourtant me blesser de la moindre égratignure, en est la preuve la plus éclatante. Mais ils ont aussi le sens du deuil : quand la chatte Minouche perd un de ses nouveaux nés, happé un matin par un épervier de l'Ovampo, tous les chats et les chiens de la cour se regroupent en cercle et la regardent d'un air apeuré, non pas parce qu'ils se disent, comme certains humains, qu'ils ne verront plus une personne aimée mais, beaucoup plus profondément à mon sens, parce qu'ils ont compris que quelque chose vient de s'interrompre dans la grande vibration du monde.
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Le passé est tout autour de moi désormais – et je ris quand je dis
« le passé », car rien de tout cela n’est passé.

Alors, l’enfance s’ouvre comme une mangue : je revois les matinées ensoleillées frissonner dans un scintillement de détails, la dentelle déchiquetée des feuilles et des branches, la terre luisante d’avoir été tant balayée, les pieds de piments rouges et jaunes et la paisible blancheur des murs. J’entends la voix de ma mère, au son profond comme de l’eau (« Allez, à toi de jouer… »), le long des après-midi ombreuses tapies sous la toiture de la véranda. Je cueille dans le soir frissonnant de l’éclat jaune des lampes et l’étirement des fumées noires qui montent des lanternes de zinc une poignée de souvenirs suspendus aux grandes palmes vertes des bananiers, je recueille les bruits et les parfums saisis à la volée du vent. À la tombée du jour, je me retrouve en compagnie des ombres démesurées qui préparent le poivron, le maïs et le poisson dans l’odeur du charbon brûlé, les rires qui se lèvent et le crépitement des bois. (...)
Et tout, absolument tout ce qui va être conté maintenant, le sera à partir de cette puissance de l’enfance, de ces quelques pièces de bois disposées sur la table et d’une case centrale étoilée sur laquelle sera posé le premier mot joué.
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Saurons-nous un jour par où a commencé la déraison ou la faute ? Il faudrait calculer la part des mensonges, des faux pas, des méprises, établir les responsabilités, faire le décompte des lâchetés et la somme des complicités. À combien se chiffre la vie d’un soldat dans le désert du Tchad ? Le sort d’un otage oublié ou celui d’un négociateur abandonné dans les dunes lointaines ? Il faudrait tout mettre sur la table et vider les tiroirs, vider aussi les placards encombrés de cadavres, Blancs, Noirs, innocents ou coupables : l’argent n’a pas plus de couleur que d’odeur. Alors, un seul sentiment subsisterait peut-être : la honte. La honte devant l’ignorance ou la veulerie des opinions publiques, des guerres qu’on mène pourtant en leur nom, le commerce des armes et celui des votes, tous les petits arrangements entre les dictatures et les démocraties qui durent depuis si longtemps en Afrique, entre les ressources minières et les placements financiers, l’apologie des cultures authentiques et les falsifications continuelles, la défense des valeurs universelles et la promotion des intérêts particuliers.
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La guerre ne se raconte pas. C'est un dragon qu'il faut prendre à la dentelle des lettres.

La guerre ne se raconte pas. On ne peut qu' en évoquer la vibration dans le corps des hommes, son tremblement lointain et cependant inexpugnable. Et d'abord : la peur.
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La cour est devenue un lieu hanté, intouchable. Maintenant, on n’en sortira
plus jamais de cette cour, de cette large solitude, de ce matin cuit et recuit sous le soleil ivre de rage qui tourne dans le ciel, comme une énorme question sans réponse. Je le sais déjà : je ne sortirai plus jamais de cette cour, où nous jouons au Scrabble, seulement occupés de la mort et des mots.
Mais l’homme que j’étais déjà et l’enfant que je suis resté ont ceci en commun : au plus fort de la guerre, quand la violence de l’humain ou celle de la nature se déchaînent, ils voient toujours bouger les mots dans la cour. Les mots, seuls les mots sont en mesure de donner une figure précise à nos angoisses – paysages verdoyants, lacs éphémères – et de leur apporter un début de réponse, toujours précaire et provisoire.
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Alors, j’ai bien vu que j’étais arrivé au bout de la route, que je venais de
toucher quelque chose de noir, de mou, d’informe, à quoi la grâce des chiens sur le sable, la sagesse de Saleh et son doux regard affable, les longues promenades dans la ville ou les matinées de lecture, l’enchantement des oiseaux, le long tracé glissant des pirogues sur le fleuve ou même les volutes musicales de M. Coulomb, ne pourraient plus parvenir à donner forme et qui me laissaient seul, échoué dans cette nuit. Elle avait disparu soudain, la vie, recroquevillée sous mes yeux comme un cadavre d’oiseau, que le mufle d’un chien bouscule et retourne avant de le dévorer. À ce moment, je me suis senti seul pour la première fois de mon existence. Parce que là, c’était bien clair et bien net : j’étais arrivé tout au bout de mon enfance.
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Les Tchadiennes sont harmonieuses et fières d’allure, de ligne, de dos, de face, de cheveux, dans leur silhouette et jusqu’aux moindres détails. Elles se
promènent dans la ville, je les croise en allant à l’école, les demoiselles aux
toilettes multicolores : bleu, rouge, gris ou marron, droites et dressées comme des crayons. Qu’elles soient riches et splendides, pauvres ou chétives, en boubou ou en robe, en gandoura de toile, de coton et parfois même en haillons, elles sont belles et bouleversantes. J’aime les suivre sans savoir où elles vont, car elles semblent toujours ouvrir un chemin dans le brouillon des villes, silhouettes superbes tournées vers l’horizon.
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Aujourd’hui encore, je ne saisis pas complètement le sens de toutes ces histoires mais elles gardent pour moi l’étoffe d’une poésie profonde mêlée à une part d’inépuisable. Je sais qu’elles sont là, en réserve, disponibles pour toute mon existence. La légende croît et s’épanouit comme l’hibiscus du jardin, qui nous adresse à chaque saison un signe fleuri de bienveillance : elle monte dans la nuit de l’enfance telle une comète puis, à qui sait s’en souvenir au passage des années, redescend en flocons de lumière pour éclairer notre route à chaque étape de notre voyage. Avant de mourir, au-dessus du fleuve où les bêtes vont boire une dernière fois, avant que la grande nuit s’abatte définitivement sur le sommeil de l’homme, elle nous guidera encore, pas à pas, nous illuminant de loin pour que nous ne tombions pas.
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Je passe mes journées penché, le nez dans les broussailles. Que ce soit sur un terrain pelé ou, au contraire, buissonnant d'herbes folles, toute la ponctuation fantastique de la terre m'apparaît.
C'est un gravier de graphies, une euphorie de signes infiniment recommencée, dont je ne me lasse jamais.
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