Il faut dire qu'à cet égard notre culture politique se trouve quelque peu démunie, non parce qu'elle n'aurait aucun modèle d'espace public à offrir, mis parce que aucun ne saurait convenir à la situation présent. Ni l'agora grecque, la place publique où les citoyens se rassemblaient pour délibérer, ni le Parlement bourgeois, où les représentants du peuple votaient souverainement les lois, ni aucune des images en général qui sous-tendent ces modèles : le champ de bataille, le théâtre, le stade, chez les Grecs ; l'Ecclesia, la chaire, la Cène chez les chrétiens ; les salons, les cafés, les clubs chez les Modernes - aucun de ces schémas classiques de l'espace public n'est aujourd'hui pertinent. Aucune ne peut être pratiquement investi pour honorer notre exigence de réappropriation du destin, notre exigence d'autonomie.
Or, chose que l'on ne sait pas toujours, de nombreux États membres de l'Union comportent dans leur Constitution une référence explicite à la religion ou à Dieu ou à la foi.
L'État hégélien - c'est-à-dire : l'État moderne selon son concept normatif - réalise dans sa constitution matérielle l'accord des normes communes et des valeurs partagées au sein d'une communauté politique, soit, la congruence de la communauté légale et de la communauté morale.
L'État [pour Hegel] est la puissance qui, à travers ses institutions, configure politiquement l'idée qu'un peuple se fait de sa liberté, et plus généralement des principes organisant la vie collective.
Le dispositif rawlsien - c'est sa rigidité - cantonne la délibération à l'intérieur de limites préalables correspondant à l'esprit du droit moderne.
...en fonction du modèle délibératif le Souverain n'est autre que la raison publique entendue comme l'usage des arguments qui se confrontent au cours de discussions menées publiquement.
Classiquement, dans le dispositif libéral, la jonction des convictions doit pouvoir s'effectuer au niveau de principes publics auxquels les membres d'une société ou leurs représentants ont pu s'accorder pour des raisons tenant à ces mêmes convictions privées mais sans qu'il y ait lieu de confronter ces dernières entre elles ; partant, sans que les sociétaires aient à s'accorder entre eux sur les éléments auxquels ils s'accordent. C'est ce que John Rawls a pu présenter comme un consensus par recoupement. A ce modèle, on oppose à présent celui d'un consensus par confrontation.
Si maintenant on considère les droits de l'homme comme le référent actuel de la justice politique, on peut alors y reconnaître un principe d'inclusion qui, "par construction", est plus universel que celui des religions.
Or la mondialisation accélère le mouvement. Avec elle, en effet, l'État national libéra a perdu de son autorité vis-à-vis des puissances économiques, ainsi que sa souveraineté sur les outils monétaires et fiscaux.
... à propos des sociétés nationales libérales, on pourrait parler d'une "communauté de confiance". C'est elle qui est constitutive et proprement "politique" au sens où elle fonde, du côté des sociétaires, le soutien des institutions publiques.