M. Wolf était un homme qui aimait la vie et trouvait toujours un moyen de s'en sortir. Il ne cherchait jamais à atteindre l'impossible, mais s'efforçait de tirer le meilleur parti de toute situation.
J'arrivai à la conclusion que les cinquante-six années que j'avais vécues jusque-là avaient finalement constitué pour moi cinquante-six années positives, fructueuses et riches. J'aurais tout aussi peu voulu me passer des mauvaises choses que des bonnes; car les bonnes comme les mauvaises m'avaient rendu plus riche, et sans cette toile de fond qu'est le malheur, je n'aurais jamais su estimer à sa juste valeur le bonheur que j'ai vécu ni pu en profiter pleinement. "Bienvenue aux bonnes choses",c'est ce qu'a écrit un jour un poète allemand, et lorsque j'étais enfant, je me répétais souvent cette maxime du Talmud qui, à propos du Mal, explique : "Gam su letovo", cela aussi pour le Bien.
On n'avait certainement pas l'intention de nous maltraiter ou de nous considérer comme des ennemis. On savait très bien que sur cent détenus, quatre-vingt-dix-neuf étaient sans aucun doute innocents, qu'ils étaient des amis de la France venus se réfugier dans ce pays en accordant toute leur confiance à l'hospitalité française. On savait qu'ils avaient été accueillis cordialement par le peuple et le gouvernement, et qu'ils étaient des alliés naturels dans le combat contre Hitler. Mais si l'on nous faisait subir des conditions de vie aussi misérables, et si l'on mettait en danger notre santé en manquant aux règles de la plus élémentaire hygiène, c'était par pure négligence, par manque d'organisation.