Huit milliards d'hommes
à Manhattan
Richard Wilson
Les spécialistes de la démographie ont des vues pessimistes sur le futur surpeuplement de la Terre. Richard Wilson, lui, préfère y penser en termes humoristiques, et prendre ce surpeuplement comme thème d'une farce où la caricature est tracée à gros traits. Le titre de sa nouvelle, à lui seul, indique bien où il veut en venir.
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Le vizir dit au Roi de New York : « Votre Majesté, il est temps d'aller au centre-ville. »
À cause de la cohue et du brouhaha, il devait parler tout à fait dans le creux de l'oreille du Roi. Le vizir, qui était vieux, se souvenait de l'époque où la petite salle du trône paraissait bondée simplement avec une centaine de courtisans. Maintenant, au bout de quarante années, il y en avait un millier, il tourna un peu la tête et le Roi approcha gracieusement ses lèvres de l'oreille du vizir.
— « Le moment serait donc venu ? » s'enquit le Roi. Il eut un sursaut de joie et son mouvement involontaire fit basculer la couronne de la Reine. « Pardon, chérie. »
— « Comment ? » dit la Reine, en récupérant sa couronne sur l'épaule de la première dame d'honneur, car elle n'avait pu tomber plus loin. « Nous n'entendons pas un mot de ce que vous dites. »
Le Roi ne lui prêta pas attention. Le vizir ramena ses lèvres dans le creux de l'oreille du Roi et dit : « Oui, sire, votre gracieuse présence serait grandement la bienvenue. » Il parlait selon un code convenu à l'avance.