2105, tome 1 : Mémoire interdite

Briss est une Lasting, et donc elle est censée vivre quatre cents ans. Je suis sa seule faiblesse. Son talon d'Achille. Son anomalie. Je suis Sophia, le petit caillou dans l'engrenage. Puisque tout nous sépare, puisque je suis capable d'échouer, puisque je me pose toujours des questions qui n'ont rien à voir avec le sujet et que la plupart du temps, je n'obtiens jamais la réponse; puisque je suis aussi châtain qu'elle est rousse, aussi pâle qu'elle est diaphane.

Dans sa définition première, je dirais que l'éternité, c'est le temps associé à l'infini. Mais si nous revenons à notre discutions, vous aviez précisé que l'éternité serait ce que nous pourrions accomplir pendant ce temps qui nous sera donné. La trace que nous laisserons au monde. Et donc, dans cette perspective, l'éternité, pour nous pauvres humains, ce n'est pas le temps plus l'infini, mais le temps, plus la mémoire.

« L’eau potable est précieuse dans notre monde. Après les inondations, par une cruelle ironie, c’est ce qui a le plus manqué. Ma mère n’était pas encore née quand les hommes se sont mis à s’entretuer pour l’eau, mais elle en a gardé de drôles de manies. » Sophia

« Les hommes attendent toujours les catastrophes pour agir, et se servent des catastrophes pour prendre le pouvoir et créer un nouveau monde injuste et inégalitaire. » Vandal

« La vérité c’est que c’est tout simplement une question de pouvoir. Il faut bien que quelqu’un ait le pouvoir. Il faut que quelqu’un domine. » Briss

« Ces mosaïques nous disent quelque choses de l’époque qui a précédé les Grandes eaux. Elles disent le chaos, la souffrance, la lutte… Mais elles expriment aussi un désir de vie, une énergie qui semble perdue aujourd’hui. »

– Je ne savais pas qu’elle était encore debout.
– Elle fait office d’antenne relais, me dit Vita. Et vers 2075, elle a aussi servi de paratonnerre aux scientifiques qui travaillaient sur les orages et les tornades. […] C’est aussi un symbole du passé. Les gens qui bossent ici aiment à penser qu’un jour, Paris renaîtra de ses cendres.

La ville ressemble à un alignement de casernes, toutes plus ou moins semblables, séparées par des rues étroites et quelques voies plus larges : un gigantesque camp militaire, traversé par un ruban sinueux. Quand je comprends qu’il s’agit de la Seine, mon cœur s’arrête. En suivant le cours du fleuve, mes yeux remontent, plein ouest, jusqu’à la célèbre digue, dernier rempart entre la ville et l’eau. Et dans cette horizontalité monochrome et sombre, surgie du passé, se dresse une construction fantomatique et reconnaissable entre toutes : la tour Eiffel.

L’humanité a été sauvée. Pas sa mémoire.

D’abord le climat. Les saisons se sont effacées, les étés sont devenus très chauds et petit à petit, les hivers ont disparu. La terre s’est réchauffée, les canicules ont succédé aux ouragans. Ensuite sont arrivées les maladies. […] Entre 2047 et 2050, les épidémies et les catastrophes climatiques, ainsi que les guerres civiles qui ont éclaté un peu partout, ont fait 3,5 milliards de victimes. En trois ans ! 

Est-ce que c’est ça, être amoureux ? Se reconnaître dans le regard de quelqu’un d’autre, alors qu’on ne se reconnaît plus soi-même?

Les hommes attendent toujours les catastrophes pour agir, et se servent des catastrophes pour prendre le pouvoir et créer un nouveau monde injuste et inégalitaire

Les dirigeants espéraient que les épidémies supprimeraient les populations les plus fragiles au profit des dominants. Mais les épidémies se sont mises à frapper aussi les enfants des privilégiés. Et les peuples opprimés ont commencé à se rebeller. Alors seulement, alors enfin, des milliards ont été investis dans la gestion des ressources et dans la recherche médicale. Une équipe pluridisciplinaire, dirigée par des médecins de plusieurs nationalités, a mis au point le Vaccin Universel. L'humanité a été sauvée. Pas sa mémoire.
- Les hommes attendent toujours les catastrophes pour agir, et se servent des catastrophes pour prendre le pouvoir et créer un nouveau monde injuste et inégalitaire, m'a dit Vandal le jour où il m'a raconté tout cela.