Citations sur Encabanée (122)
Le grand-duc m'accompagne de son houhou feutré. Je lève la tête et le cherche du regard. Il est là, perché dans le tremble mort au bord de l'eau. Au bord de la glace, plutôt. La nuit ne tarde pas à plonger la forêt dans le noir ébène. La flamme d'une chandelle oubliée se noie dans la cire sur la table de chevet. Je fais l'ange dans une couette de neige si douillette que je pourrais m'y endormir. Une belle mort dans la grande noirceur.
Par centaines, les glaçons qui pendent au-delà des fenêtres sont autant de barreaux à ma cellule,mais j'ai choisi la vie du temps jadis,la simplicité volontaire. (..)
Maman, J'ai brûlé mon soutien-gorge et ses cerceaux de torture. Jamais je ne me suis sentie aussi libre.Je sais qu'avec mon baccalauréat de féministe et tous mes voyages, ce n'est pas là que t'espérais que j'atterrisse.(p.15 / Le Mot et le reste,2021)
Consommer pour combler un vide tellement profond qu'il donne le vertige.
J'ai appris à tâtons les secrets des essences. Le bouleau à papier attise les flammes, l'épinette sert de petit bois d'allumage, et l'érable donne de longues bouffées de chaleur qui me font rêver aux sources thermales des Rocheuses. Je dors comme un dauphin aux hémisphères indépendants, un oeil fermé, un oeil ouvert, guettant les flammes qui se consument. Quand le bout de mon nez est gelé, il est déjà trop tard, il ne reste que des cendres volatiles, et il faut recommencer le rituel - écorces de bouleau, épinette fendue, érable massif - avec patience, même si je cogne des clous.
L'aurore et ses pastels fixent le temps. Nulle âme à qui adresser la parole, j'écris à une amie imaginaire. Le manque de sommeil me fait frôler la folie parfois, mais le soleil se lève chaque matin sur un tableau plus blanc que jamais, avec ses flocons qui tourbillonnent comme dans une boule de cristal. Malgré la rigueur de ma vie ici, le verre d'eau sur la table me paraît encore à moitié plein...même s'il est plein de glace.
"La mémoire se cultive comme une terre. Il faut y mettre le feu parfois. Brûler les mauvaises herbes jusqu'à la racine. Y planter un champ de roses imaginaire, à la place.
Je veux marcher dans les bois sans jamais penser au temps. Je n'ai pas besoin de montre, d'assurances, d'hormones synthétiques, de colorants à cheveux, de piscine hors terre, de téléphone cellulaire plus intelligent que moi, d'un GPS pour guider mes pas, de sacoches griffées, de vêtements neufs, d'avortements cliniques, de cache-cernes, d'antisudorifiques bourrés d'aluminium, d'un faux diamant collé sur une de mes canines, ni d'amies qui me jalousent. De toute ces choses qui donnent le mirage d'une vie réussie. Consommer pour combler un vide tellement profond qu'il donne le vertige. S'accrocher à des bouées de masses, peindre des masques de clowns tristes. Pire encore, bêler sa conformité en terre de Caïn. La liberté comme une promesse intenable dans une conjoncture colonialiste, parmi "un peuple annexé par la force et les armes".
Pages 30 et 31.
Je réinvente le monde en position fœtale, c'est plutôt logique. C'est à l'horizontale que tout commence, mais ce n'est pas long qu'on marche en interminables files indiennes. Cernes aux yeux, horizons gris, tailleurs ternes, klaxons et smog. Lève-toi et marche. Marche bien droit. Ne sors pas des rangs. Surtout, meuble ton temps.
Liste n0 119
Gratitudes
(...)- Merci à ceux qui ont tour à tour apporté des chefs-d'oeuvre de la littérature québécoise pour garnir la bibliothèque de la cabane. Ils m'accompagnent en rêve et me livrent leur sagesse. (p.62)
Mon père m'a dit un jour, en me tendant une pile de boîte de chocolats, que le seul remède à l'amour, c'est d'aimer encore. Et quoi qu'il advienne, le chocolat sera toujours là, en attendant.
Ma cabane. Quelques planches dans le bois. Un petit prisme rectangulaire. Une boîte de Pandore. Je n'ai jamais vu les choses aussi clairement. Posé sur ma vie d'avant un jugement aussi net. Sanctuaire de neige, merci. Je suis confrontée à toutes mes bibittes, mais j'ai retrouvé ce qui est si facile d'échapper...l'espoir.