Citations sur Tenir jusqu'à l'aube (88)
On les a voulus les loulous, on les a désirés, et eux, ils n'ont rien demandé. Il faut relever la tête, assumer et assurer.
Qu'elle se calme ! Il n'y avait aucune raison de s'exciter. Beaucoup de femmes étaient dans sa situation, l'employée ne voyait que ça, à longueur de journée, des mères célibataires tout aussi plaintives, usées et usantes.
« C’était l’âge des caca boudin, des « pourquoi? », des « et après? », des mêmes questions, répétées jusqu’à ce qu’elle n’en déchiffre plus le sens (…) C’était l’âge de Max et les Maximonstres, de Chien bleu et du Grand Monstre vert, c’était l’âge des dragons, du loup et des sorcières. (…) C’était l’âge des manèges, de la souris verte et de la pâte à modeler qu’on aplatissait en crêpes, et qui aussitôt devenait tartes aux fruits, des serpents qu’on laissait rouler sous la paume. (…) C’était l’âge des Frères Jacques dormez-vous, des Non non non, et des Moi moi moi. »
L’ordinateur est resté en veille. Sur le coin de l’écran, elle lit trois heures trente. Sur son moteur de recherche, elle entre : Mère seule + galère.
Des forums, des dizaines de forums.
Des centaines de conseils pour les « Solo ».
Solo, c’est moins sinistre que seule.
Solo, ça renouvelle la figure de la mère célibataire, larguée, quittée, abandonnée, ça éloigne le cliché misérable de la fille-mère, de l’adolescente promenant son landau sur un trottoir défoncé du nord de la France. Ça sonne comme une référence de grande surface lancée à coups d’annonces publicitaires et de promos.
D’ailleurs, toute la journée, chaque fois qu’elle croisera quelqu’un, à chaque rendez-vous, on lui demandera « Où est l’enfant ? Qu’avez-vous fait de votre enfant ? Vous avez un fils, il me semble ? Et vous l’avez laissé ? » Elle se demande si on pose aussi cette question au père. Non, elle ne se demande pas, elle se doute qu’on n’importune pas les pères avec ce genre de détails.
Ils s’en vont. Le petit se retourne plusieurs fois. Essuie ses larmes avec son doudou. La mère s’écroule dans les bras de la grand-mère. Le père a pris son fils par l’épaule, l’entraîne vers une autre vie, un autre voyage. Avant de monter les escalators, le petit se retourne une dernière fois vers sa mère en secouant son doudou, comme pour la consoler.
Les deux parents ont chacun fait leur tronçon de trajet et s’échangent leur fils à mi-chemin. Ils vivent éloignés mais ont cet enfant en commun. Un enfant à troquer régulièrement, sur un quai de gare, ou une aire d’autoroute, c’est selon.
Elle ne pouvait se permettre aucune erreur, aucun écart. L’enfant et elle devaient filer doux, afficher zéro défaut, ne laisser aucune prise à la société. À tout instant ils risquaient d’être étiquetés « famille à problèmes». Ils étaient hors norme, ils étaient fragiles, ils étaient suspects.