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Critique de Kozi


La collection Brouillards des éditions Malpertuis propose chaque année, et ce depuis 2009, une sélection de textes fantastiques francophones. Exceptionnellement, il peut s'y glisser une nouvelle étrangère, c'est le cas dans ce tome huit avec le texte « Espace mauvais » de l'auteur américain Scott Nicolay (ici traduit par Christophe Thill, codirecteur de Malpertuis). La pérennité de cette anthologie (le onzième tome est sur le point de sortir au moment où j'écris ces mots, en mai 2020) prouve d'elle-même la constance du travail de sélection de l'anthologiste Thomas Bauduret. Elle offre depuis plus de dix ans une vitrine aux auteurs français de fantastique, qu'ils soient nouveaux ou confirmés. L'anthologiste s'est fait plaisir (et il a eu bien raison) en réunissant dans ce tome VIII vingt-quatre auteurs, ce qui est beaucoup pour ce type de compilation. On y traverse aussi bien des univers fantastiques traditionnels (« le baptême » de Pascal Malosse) que des contextes incongrus (« Foutues taupes » de Simon Boutreux) ou qui renouvellent le genre avec bonheur (« Te haka Wakamutunga » de Nicolas Pagès). Si les thèmes abordés sont variés, plusieurs nouvelles posent la question du rapport au corps, qu'il soit hanté par des parasites, dupliqué ou d'une beauté impossible à assumer. Peut-être faut-il y voir le reflet d'une époque centrée sur l'individu ? Je présente ici dix textes qui me m'ont vraiment marqué.
Dix pesos, pas un de plus, de Claude Mamier : les pérégrinations d'un pauvre type dans la banlieue de Buenos Aires constituent une remarquable entrée en matière pour cette anthologie. Un modeste employé se voit offrir la possibilité d'occuper le corps de son choix, mais peut-on changer les règles du jeu lorsqu'on ne possède que les codes acquis dans une vie misérable ? Une intelligente relecture du thème faustien. Je ne connaissais pas cet auteur qui a pourtant un bon nombre de nouvelles publiées à son actif chez différents éditeurs indépendants.
L'espace mauvais, de Scott Nicolay. Ce texte rassemble ce qui me plait le plus en littérature fantastique : la description de vies ordinaires dans une ville ordinaire, et dans laquelle seul le personnage principal semble discerner l'étrangeté du monde alentour. L'ambiance et le rythme de ce texte m'ont fait penser au noveliste espagnol Santiago Eximeno. Je ne crois que d'autres textes de Scott aient à ce jour été traduits en français.
Le défi de Chronos, de Thierry Caspar : Dans ce texte résolument young adult, un jeune lycéen se voit entrainé dans une application de jeu sur smartphone dirigée par le Dieu Chronos en personne. La preuve qu'un texte fantastique n'est pas nécessairement lent et ampoulé.
Te haka wakamutumga, de Nicolas Pagès : l'humanité a été infectée par un virus dégénérescent, hormis la population polynésienne génétiquement préservée. Les rugbymen néo-zélandais sont livrés à un combat sans fin dans un stade transformé en arène. Un sujet surprenant traité de très belle manière.
Taïga, d'Alain Delbe : le fantôme de Soljenitsyne, mais aussi peut-être celui de Dan Simmons (dans son livre Terreur autour de l'Erebus) hante ces pages dans lesquelles il est demandé à un prisonnier du Goulag de décrire dans un courrier à l'intention de Staline les événements terrifiants qu'il vient de vivre. Un style classique et lent, mais qui parvient à nous immerger dans l'angoisse d'un camp russe d'exilés politiques perdu dans l'une des régions les plus glaciales au monde.
Sous la peau, de Marlène Charine : le sujet de la psychose autour d'un corps étranger hébergé à l'intérieur de soi me semblait rebattu jusqu'à ce que je lise cette nouvelle. Sans doute grâce à l'aisance d'écriture de l'auteur.e (les dialogues et des personnages sont très réalistes) et à la chute qui, bien que classique, garde tout son effet. J'avais déjà beaucoup aimé un autre texte de Marlène Charine, intitulé « le club des montagnards pâtissiers cynophiles » paru dans Malpertuis VII.
Sur la route, de Xavier-Marc Fleury : cet auteur aime aborder des sujets très différents. Alors qu'il nous faisait côtoyer des créatures des abysses et des sirènes en guerre contre un empire européen dans l'anthologie Malpertuis VI, nous voici en voiture aux côtés d'un commercial engagé par erreur sur une étrange autoroute vers l'enfer.
La dernière sirène, de Christian Robin : il s'agit d'une histoire de fantasme marin qui entraîne un jeune pêcheur à la recherche d'une île paradisiaque peuplée de femmes. Si le thème semble déjà vu, la seconde partie du texte mène bien au-delà de ce à quoi on pouvait s'attendre et la chute ne manque pas de mélancolie.
Pyrophage, de Tesha Garisaki : on sait tous que le rôle de super héros est toujours à double tranchant, pourtant Tesha Garisaki aborde ce thème de manière originale (le personnage détient un pouvoir différent de tout ce qu'on peut lire dans les comics) et décrit de très belle manière la fragilité du personnage principal.
Chris, de Céline Chevet : l'histoire qui clôture l'anthologie part d'une idée originale forte : un homme nait divisé en deux corps jumeaux (l'esprit est détenu par l'un, la capacité physique par l'autre). Un très beau texte sur la relation à autrui et le manque de reconnaissance de ce qu'on peut être à l'intérieur de soi. Un bel exemple de la manière avec laquelle le genre fantastique peut nous faire réfléchir sur la perception de soi et des autres.
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