«
La maison des Turner » , en 2008, est une des rares encore debout et habitable de Yarrow Street dans le quartier pauvre de Detroit. Les maisons voisines ont été abandonnées ou rachetées à découvert par les banques à des prix extrêmement faibles.
Il y avait d'ailleurs une blague qui circulait à Detroit dans les pires années de cette crise, beaucoup d'habitants étant contraints de quitter la ville : « le dernier à partir éteint la lumière » !
Mais
la maison des Turner, elle, est toujours debout. Bien que petite, elle a abrité pendant 50 ans Francis et Viola Turner et vu grandir leurs treize enfants. Elle a toujours été le centre, le point d'ancrage de cette grande famille. Et si aujourd'hui elle est vide est silencieuse, c'est que Viola, veuve et malade est partie vivre chez son fils aîné.
Les enfants Turner vont devoir prendre une décision quant à cette maison : faut-il la garder, la vendre ? de l'aîné (65 ans) à la plus jeune (41 ans), chacun a son avis et entend bien le défendre.
Et nous, lecteurs, découvrons ce qu'a pu être la vie de cette famille nombreuse afro-américaine dans ces trois pièces et demi. Comment les enfants ont évolué, les voies prises par chacun, les réussites ou les échecs professionnels.
« Je sais que ça existe, la dépression, dit Francey, je ne suis pas une de ces vieilles Noires attardées qui croient que la santé mentale, ça ne compte pas, mais les critères évoluent selon les époques. Autrefois, beaucoup de gens avaient des ribambelles de gosses ; ça se faisait, c'est tout, maman venait d'une famille de dix enfants. Et souviens-toi : les parents et les grands-parents de papa et maman étaient métayers. Bonté, c'est ce boulot de fermier qui a tué le père de papa.Et leurs arrière-grands-parents ont dû naître esclaves. Esclaves, Cha. Qu'est ce que ça change, une grande famille et un boulot minable à Detroit, quand ça fait pas deux générations qu'on est sortis des champs ? »
Ainsi que les responsabilités qui ont pesé très tôt sur les épaules des aînés et qui arrivés à la soixantaine sentent cette charge mentale devenir de plus en plus lourde :
» Trop d'émotions s'agitaient dans le coeur de Cha-Cha. La rage : il aurait voulu pulvériser Troy, lui faire passer le goût du pain. La déception : Alice lui avait dit que son rôle dans la famille lui valait du respect mais pas d'amitié. Et là, il s'apercevait bien qu'il n'y avait même jamais eu de respect (…) Il eut envie de laisser tomber, de prendre sa retraite anticipée, vendre sa maison et déménager là où il serait unique, pas un parmi treize. Il ne voulait plus consacrer son existence à ces gens-là ».
Ce roman est un beau portrait de famille (l'auteure dit s'être inspirée de la famille de son père). Ce portrait est touchant, dérangeant parfois, et surtout empreint d'une grande humanité.