La relation avec son fils était bien trop épisodique ; parfois, il lui semblait manquer des étapes de son évolution, un peu comme on ne saisirait pas vraiment le sens d’un roman dont on sauterait trop de pages.
Il n’avait pourtant jamais cessé d’éprouver un sentiment de culpabilité. Une amie lui avait dit un jour : « Éric, ne te reproche rien. Tu sais, nous sommes tous coupables de quelque chose. » Il avait été surpris par cette affirmation. Elle tentait d’atténuer ainsi sa douleur, bien sûr. A l’en croire, aucune destinée humaine n’était à l’abri des mauvais choix.
La fuite avait été une sorte de remède. Il s’était alors offert l’illusion d’être la première page d’un roman.
Incipit :
Éric Kherson appréhendait toujours de prendre l’avion. Il dormait en général assez mal la veille du voyage, se laissant dériver vers les pires scénarios possibles, imaginant tout ce qu’il laisserait derrière lui après sa mort violente dans un crash. Mais le désir d’ailleurs demeurait plus fort que la peur, dans ce combat incessant entre nos pulsions et nos frayeurs.
Il y avait dans la modernité comme une volonté inconsciente de vous compliquer l'existence.
Un instant, elle pensa : "Suis-je aussi vieille que ça ?" On ne vieillit réellement qu'en voyant ceux de notre âge vieillir.
Il nota cette phrase : "L'homme heureux est celui qui aime ce qu'il a".
Comme tous les conquérants, elle avait la lassitude facile.
C'est ainsi qu'Amélie Mortiers était tombée sur la page relativement inactive d'Eric Kherson. On n'y trouvait aucun élément personnel, simplement des commentaires sur l'activité de Decathlon. Depuis près de vingt ans, il avait gravi tous les échelons au sein de cette enseigne, de simple vendeur à directeur commercial du groupe. Dès qu'il semblait un peu fatigué, on lui lançait : "Alors ? A fond la forme ?" Il en était arrivé à détester ce slogan ridicule, mais cela ne se voyait pas; il souriait de manière détachée, comme un homme en vacances de lui-même.
Les échecs des autres nous soulagent toujours un peu des nôtres.