C'est peut-être ça son destin, de rater les choses.
J'étais heureux, et j'oubliais que le bonheur est toujours au rivage de la douleur.
Tout allait être différent. Plus personne ne pouvait me retenir. J me suis dit : je n'ai plus personne maintenant. Je suis seul au monde. Je suis libre d'être violent. Je suis libre d'être fou.
J'ai compris très vite qu'être dans un groupe, c'était avoir une carapace. La vie en bande permettait de ne plus être seul, de ne plus affronter les situations d'une manière autonome. Et cela me procurait une grande force. Il ne pouvait plus rien m'arriver.
Les heures passaient si vite quand on se voyait. Et je vivais comme une brûlure le moment où je devais rentrer. Où je devais la quitter. Ça me renvoyait en pleine figure son attitude : elle m'avait abandonné. Mon amour se transformait alors en une souffrance terrible. J'étais perdu, je ne savais que penser, je ne voulais plus jamais la voir, elle m'avait fait trop de mal, et puis elle me manquait, elle me manquait comme personne ne m'avait jamais manqué, et je voulais la revoir le plus vite possible. C'était la chorégraphie incessante de mon cœur. Au fond, on était si proches, si identiques.
J'ai connu beaucoup de violence plus tard, à Liverpool et à Hambourg bien sûr, mais cette violence-là, celle des mots et des regards qui vous font sentir que vous êtes différent, je la ressens encore maintenant, elle me glace comme la préméditation d'un meurtre.
Hors de question que je lui adresse la parole. C'était bien trop tard. Fallait venir avant, quand je pleurais la nuit. Quand la solitude me rongeait.
Je lui ai transmis les racines de mon mal. Je lui ai offert toute la souffrance qui a été la mienne. J'ai reproduit les rejets dont j'ai été victime.
Toute ma vie, j'ai d'abord raté les choses avant de les réussir.
J'avais l'impression que ça marchait, mais il faut croire que non, car la douleur revenait sans cesse. Il n'y a pas de vacances à la douleur. La souffrance est une éternité.