AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Dixie39


Quelles étaient mes attentes avant d'entamer la lecture de cet opus de plus de 1000 pages ? Que pensais-je y trouver ?
- Une réflexion sur la manière dont les philosophes ont pensé l'animal au fil des siècles
- Un développement qui nous amènerait à la pensée anglo-saxonne de l'animal et un éclairage sur le spécisme
- Une confrontation entre le concept de l'animal tel qu'il est pensé et la place qui lui est accordée dans la société de ces philosophes au fil du temps

La deuxième attente est à oublier : l'auteure n'en fait pas mystère dés le début de son ouvrage. « J'ai délibérément négligée l'énorme production anglo-saxonne contemporaine et (…) je me suis limitée à la philosophie dite continentale ».

La première est comblée : l'auteure maîtrise son sujet. Elle nous offre, en déroulant le fil de l'histoire de la philosophie, une synthèse éclairée de la pensée de l'animal. Elle met le doigt sur les « points sensibles », les « apories » et la « cuisine interne » des philosophes qui ont tous, tant bien que mal, réussis à faire tenir ce concept d'animalité dans leur système de pensée. Mais parfois, à quel prix ?

La dernière attente est abordée, mais m'a réellement laissée sur ma faim. J'aurai souhaité un développement plus poussé des réflexions et mises en abîme qui émergent mais ne restent pas assez sous le questionnement, à mon goût. J'aurai aimé que soit abordée la place de l'animal au Moyen-Âge, que soient intégrés et commentés des faits qui peuvent nous paraître surprenants, parfois « stupides » comme celui du jugement des animaux devant un tribunal, de leur excommunication (on estimait donc qu'ils aient une âme ?)... L'animal pas seulement vu comme objet mais aussi comme acteur et partie de la société, au sein de la communauté humaine.

Cette idée de l'âme des bêtes est récurrente et va se poursuivre tout le temps de la prégnance de la religion catholique dans la pensée, philosophique autant que scientifique.
En effet, si l'on admet que l'animal a une âme, son exploitation (que ce soit celle de sa force « de travail » ou de sa chair) est condamnable. Admettre que les animaux aient une âme ou que certains animaux en aient une, en adoptant une classification des espèces par exemple, c'est renoncer à les aliéner et à les tuer. Nous sommes sur le même point de débat que celle de la controverse de Valladolid où il s'agissait, sous couvert de déterminer si les indiens avaient oui ou non une âme, de savoir si leur esclavage était moralement acceptable ou non. Si les animaux, comme les indiens, n'ont pas d'âme, ils ne sont que de simples créatures et l'homme a tous droits sur eux, même celui de vie ou de mort.
Le contraire est un crime, un meurtre et une abomination qui vous conduit tout droit en enfer.
L'enjeu est d'importance et toute la subtilité de certains philosophes est de persuader du bien fondé de l'exploitation de l'animal par l'homme, en usant de tous les moyens. Subtilité parfois difficile à développer quant ils se trouvent en confrontation avec d'autres penseurs (anciens ou contemporains) qui ont su développé et argumenté des thèses démontrant l'existence d'une conscience animale ou tout au moins d'une sensibilité, qui iraient à l'encontre de tous ces beaux systèmes. Voir comment Descartes met sous le coude sa théorie du doute pour arriver à nous persuader que l'animal à tout d'un automate, serait assez jouissif si l'on excepte les conséquences que l'on connaît. Conclusions qui sont encore le socle des recherches scientifiques : le vivant n'est-il pas une construction biologique d'une complexité et d'une sophistication incroyables dont nos scientifiques rêvent de connaître toutes les ficelles ? Nos affects, nos sentiments ne seraient-ils pas qu'une combinaison de ces mécanismes, d'une subtilité qui nous échappe encore mais dont nous espérons bien trouver les clefs dans la recherche sur l'ADN, etc. Homme et Bête à égalité pour le scientifique. L'éthique et la déontologie ont toujours un train de retard... ou la science et la recherche un coup d'avance !
L'idée d'une âme humaine ou animale permettait de ne pas réduire l'homme ni la bête à ce seul mécanisme intégral, d'où son importance. Quel est le concept actuel qui joue le rôle de garde-fou ?

Loin de moi l'idée de vous offrir un résumé « barbant » qui vous ferait fuir, en espérant que je ne vous ai pas déjà perdu ;) , mais je souhaiterais vous faire partager encore quelques réflexions :

- La difficulté de penser l'animal et sa place sur la terre, sans stigmatiser les débats des deux cotés (oui, on peut aimer l'animal sans détester l'humain et être humaniste sans fouler au pied le respect dû aux animaux. Aimer Rousseau et Voltaire, en quelque sorte).

- Cet acharnement toujours actuel à nier en l'animal tout ce qui pourrait faire émerger l'idée d'une certaine forme de conscience, de sensibilité, de réflexion. Il n'est plus ici question d'âme : l'homme tue pour se nourrir et ne craint plus de brûler en enfer pour avoir ôter l'âme de ces êtres sensibles qui le nourrissent. Il est question de légitimer la manière dont on les tue, de maintenir les chiffres et de ne pas ralentir la rentabilité économique d'une mise à mort de masse, qui n'a que faire de cette « sensibilité ». En un mot : Éloigner les philosophes des portes des abattoirs.
Ai-je besoin de développer ?

- le parallèle que l'auteure fait entre la manière dont l'animal est pensé et celle dont est perçu la femme, l'indien, le fou... Je suis persuadée qu'un jour, nos « hoirs et successeurs » seront, en prenant connaissance de tous nos débats, aussi atterrés que nous à la lecture de ces philosophes qui dénient à la femme, « l'indien » toute forme de raison et je ne vous parle même pas de l'intelligence, la bonne blague...

- La mise en lumière que chaque époque a aussi vu l'émergence d'une pensée fournie et constructive sur l'animal et ses droits, que le végétarisme n'est pas « une mode de bobos », mais bien un mode d'alimentation millénaire.

- Et encore tellement de réflexions qui me viennent à l'esprit après la lecture de ces 1062 pages que j'aimerai partager avec vous, mais je crois que la critique doit laisser la place au désir de lire...

Pour finir, je tiens à relever un dernier côté négatif : la lecture n'est pas toujours aisée et nécessite, si ce n'est un bon dico de philo, du moins un minimum de connaissances philosophiques.

Voilà ! Il y aurait tellement plus à dire, ou à dire autrement... Ah, j'ai failli oublier : une envie farouche de lire « Le territoire de l'homme », d'Elias Canetti.
Commenter  J’apprécie          217



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}