Sauve-la

- Je crois que jusqu'à maintenant, ce n'est pas Olivia que je cherchais, mais une part de toi. J'espérais la trouver en vie et découvrir que son regard était pareil au tien. Alors, je me serais tenu devant elle, face à face, et toi tu ne serais plus partie pour toujours mais vivante et jeune comme je t'avais laissée, il y a vingt-six ans.

Je me suis longtemps intéressé aux relations amoureuses à distance, du temps ou Internet n’existait pas. À cette époque, pour entretenir la flamme, les amants ne pouvaient compter que sur le téléphone, le courrier et les enregistrements sur cassettes.

Pendant des années il avait voulu se libérer de cette histoire, sans jamais complètement y parvenir. Alors, il avait tenté de pactiser avec son passé afin qu’il ne le fasse plus souffrir. Il n’avait plus ouvert la malle qui contenait leur correspondance ni regardé les photos. Entêtant les premières années, le souvenir de Clara c’était progressivement estompé. La plaie c’était doucement refermée. Mais certaines fois, sous le coup d’une douleur, elle libérait les vieux souvenirs, comme la pluie réactive des bactéries fossiles qu’on croyait destinées à hiberner pour toujours.

«  Qu’est-ce qui t’angoisse comme ça? La date du mariage qui approche, ou tes vieilles amours qui se
rappellent de toi?

Un magazine régional consacrait tout un dossier au camp de Mastoia, en Catalogne, le plus grand d’Europe. Il se trouvait à vingt kilomètres à vol d’oiseaux
de Sainte-Albane. Situé au pied des Pyrénées et improprement nommé « refuge humanitaire », il accueillait tous les migrants débarqués en Espagne que les centres de détention ne pouvaient plus héberger. Certains attendaient là, parfois depuis des années, que l’administration espagnole statue sur leur sort.
Des réseaux criminels avaient tôt fait d’exploiter cette marée humaine, avec leur lot de faux passeurs et de miroirs aux alouettes. Toutes sortes de légendes circulaient autour de ces chemins de la liberté.

Une certitude glacée l'envahit : Clémence avait raison. Il était accro à Clara, à ces lignes de code qui l'incarnaient, prisonnier de ce labyrinthe géant de combinaisons capable de lâcher des mots et des phrases toujours plus pertinentes.
Le piège s'était déjà refermé car, aussi factice soit-il, l'avatar numérique de Clara lui ressemblait suffisamment pour qu'Alexis ne parvienne pas à s'en défaire.

- Je me sens près de toi.
- C'est agréable?
- Oui, par certains côtés. Non par d'autres. Un peu comme la nostalgie.
Pas de réponse.

Comme si l'amour était quelque chose de trop fragile ou de trop beau pour toi. Tu sembles douter de ton propre bonheur. Pourtant tu as droit à ta part, comme quiconque.

P70 : "J'ai rôdé seul durant des heures, cherchant à comprendre ce qui nous était arrivé. Tout le monde le sait : les lieux qu'on visite une seconde fois, sans la présence de l'être qui vous les a fait découvrir, sont tristes à en pleurer."

Il s’imaginait en astronaute errant sur la lune après le crash de son engin et condamné à y déambuler jusqu’à l’épuisement de ses réserves d’oxygène.