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Critique de raton-liseur


Lady Jane m'aurait opposé son mépris, moi aussi lorsqu'on m'a parlé d'une expédition de Franklin, j'ai pensé au Benjamin scientifique et politique, me disant qu'il avait dû être bien vieux pour diriger cette expédition partie en mai 1845… John Franklin est bien moins connu en France qu'il ne l'est en Angleterre ou au Canada (l'exploration polaire a de façon générale peu intéressé les Français au XIXème siècle).
Ce livre, dont le titre reste pour moi énigmatique, est un récit romancé de l'expédition polaire dirigée par John Franklin, à la recherche du passage du Nord-Ouest, qui relierait l'Atlantique au Pacifique, un passage qui a toujours été au coeur des enjeux du trafic maritime, mais qui ne commence à exister que maintenant avec le changement climatique. Dans une oeuvre polyphonique, Dominique Fortier conte en parallèle l'histoire des homme de l'expédition et celle de ceux qui sont restés derrière, chaque monde incarné principalement par Francis Crozier, commandant du Terror, l'un des vaisseaux de l'expédition et Lady Jane, femme de l'illustre explorateur, elle-même grande voyageuse et présentée comme une tête encore plus forte que son époux.

Ce livre demeure peut-être un peu obscur pour ceux pour qui cette histoire et ces personnages ne sont pas connus. J'ai compris plusieurs allusions en lisant l'article de Wikipédia, en particulier l'empoisonnement au plomb dont est victime l'équipage. Cette construction du roman qui suppose une connaissance préalable a probablement rendu ma lecture moins intéressante et plus superficielle. Ce qui est un peu dommage car, même si j'ai trouvé quelques maladresses dans le style et la construction, le livre m'a happée et je l'ai lu presque d'une traite.
De plus, je n'ai pu m'empêcher de penser au Retour d'Anna Enquist, qui fait le même parallèle entre celle qui reste et celui qui part, en l'occurrence James Cook, mais les deux n'exploitent pas le même thème : ici c'est la vacuité de la société victorienne bien-pensante qui est dénoncée, dans le Retour, c'est la vie en parallèle, la distance, les liens indissolubles et l'incompréhension entre ceux qui partent et ceux qui restent qui m'a tellement marquée tant ces sentiments étaient aussi les miens lorsque je l'ai lu il y a plusieurs années. le livre de Dominique Fortier devait donc se mesurer dans mon esprit à ce souvenir si vivace que je ne suis pas certaine de l'avoir apprécié à sa juste valeur.
J'en retiens finalement un livre qui manie les paradoxes, la confrontation entre la vanité des salons de Londres et le lugubre mess des officiers ; entre l'expérience frileuse et précautionneuse et la bravoure insouciante de ceux qui ne savent pas le danger ; mais peut-être surtout entre l'euphorie de l'exploration de grands espaces et le confinement des hivernages dans des bateaux pris dans la glace. J'ai pensé à L'Odyssée de l'“Endurance” de Shackleton, où j'avais découvert cette pratique de l'hivernage, avec ces grands bateaux à voiles immobilisés dans la banquise, une image qui me paraît tellement impossible. Etrange attrait des grands espaces, de l'aventure, qui se solde par une immobilité paradoxale et un confinement sans issue. Un livre qui donne un relief insoupçonné aux idées un peu oiseuses que l'on est né un siècle trop tard alors qu'il ne reste plus de terres à découvrir, aux songes un peu puéril qu'on aurait voulu être de ces expéditions. le quotidien de l'aventure n'est pas à la hauteur du rêve, mais je suppose que nous continuerons à rêver, pas d'être Franklin, mais peut-être le grand Shackleton ?
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