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Critique de ninachevalier



D'Ouest en Est
Si Claire Fourier n'a pas besoin d'être présentée dans L'Ouest de la France, elle cumule les prix : du plus prestigieux Prix Bretagne 2012 pour « un texte écrit sur la pointe des mots » ( Paris Match) ou le prix de la ville de Carhaix, je crains qu'elle soit injustement méconnue ailleurs. C'est ce qui me motive à faire découvrir cette romancière à tous ceux qui sont habités par cette curiosité insatiable qui fait le sel de la vie. Dans son roman: Les silences de la guerre, les deux protagonistes incarnent déjà cet esprit européen de réconciliation et de pardon.

Claire Fourier est surnommée «la femme celte » par le poète Jean Markale car le breton coule dans ses veines et dans son écriture, ses haïkus :
J'écoute et regarde Goélands et mouettes Des coquilles blanchies
les vagues et les vagues saupoudrent en hiver sous le harnais du ressac
pleurer à ma place l'océan gris vert l'hiver est humain

Claire Fourier
Les silences de la guerre
roman , éditions dialogues ( 191 pages- 19,90€)
Parution en poche le 25 février 2016, éditions Points

Claire Fourier a choisi pour capter notre attention de restituer sur la couverture le premier paragraphe du roman :« pendant féminin au Silence de la mer », en hommage à Jean Vercors. Sa narratrice(une étudiante de 20 ans) nous happe en situant le lieu (Gwitalmézé,en Bretagne), l'époque (1943) et les circonstances ( l'occupation, le couvre-feu). Elle sait lire la tension, l'inquiétude, la panique sur les visages des villageois « à la vue des bottes noires , brillantes ». Voilà leur horizon rétréci, le village étant « une zone côtière interdite, un rivage truffé de blockhaus »où se construit le mur de l'Atlantique. La terreur gagne aussi la narratrice, venue se réfugier chez son père veuf, quand elle comprit qu'elle devrait cohabiter avec « un boche ». Elle découvre tout sur cette guerre, ses absurdités , répétant « Je ne savais pas ». La crainte , l'appréhension vont l'habiter. Elle déploie une bonne dose d'audace pour contrer cet étranger, soulignant la défiguration du littoral. Elle brosse un portrait détaillé de l'officier Hermann ( « cet ennemi à figure d'ange ») que l'on suit dans sa mission et retrace leurs conversations . Cet homme « distingué, poli, éduqué » gagne la sympathie du père , vétérinaire, qui sera mis à contribution pour soigner les chevaux. Les absences mystérieuses du père suspectes ( Serait-il impliqué dans la résistance?) favorisent les soirées en tête à tête. Peu à peu la méfiance s'estompe, ils s'apprivoisent, s'aimantent et découvrent leurs affinités électives: la peinture comme déclic. Leur osmose est activée par leur entente intellectuelle: « Fritz la tire par le haut ». Les mots leur étaient « la face audible de l'harmonie ».La dépendance s'installe: « Loin de lui, je m'ennuyais. Personne n'avait pour moi autant de valeur ». Elle guettait son retour, sensible à sa voix « grave et veloutée » vers laquelle elle se tournait « tel un héliotrope ». Elle devient « son pain blanc, son oasis, le féminin accueillant », sa bouffée d'oxygène. Glaoda se montre déterminée à balayer ses pensées sur la guerre et l'officier, fatigué de cette occupation, ressent l'urgence de fraterniser. Leurs visions de la paix les rapprochent: « La bonté induit la paix ». N'espèrent-ils pas oeuvrer à la construction de l'Europe? Hermann laisse parler son coeur: « J'ai faim de vous ». « La délicatesse cousait au fil des jours une parenté »
. Il s'épanche, « tel un naufragé dans les bras » de sa Glaodina, trouve dans sa bouche « un nid de tranquillité ». Ses mains , ses yeux ne pouvaient pas la trahir. « Ils vibrent à l'unisson, leurs coeurs se répondent », partagent « la même langue de coeur et de culture » .
La remise : un huis clos où ils sentent intouchables, la serre et le banc du jardin servent de cadre aux confidences entre Hermann et la narratrice. Dans ce paradis Hermann se fait poète: «La mer a ses perles/Le ciel a ses étoiles/Mon coeur a son amour ». L'officier s'abandonne, plein de confiance en l'avenir, avec pour leitmotiv « le temps viendra ». Il se déclare prêt à épouser « sa Fleur de bruyère ». Quant à sa « Glaodina » elle rêve de donner naissance à une fille. Ne sentait-elle pas bouger en elle? Au lecteur de découvrir si leurs espérances se concrétiseront?

Claire Fourier , iconoclaste, s'impose, livre après livre, démultipliant ses talents.
Telle une artiste, elle convoque une palette de couleurs «  les nuages ourlés d'orange par le soleil levant, l'océan vert-de-gris frangé d'argent», pour peindre les paysages de la Baltique à travers une succession de tableaux de Caspar David Friedrich « des paysages améthystes, roses et gris de lin », en écho aux paysages bretons de Charles Cottet pour leur similitude, sublimant la beauté des lieux et y attardant notre regard.
Telle une pianiste, elle égrène les notes de Debussy « un cyclone de paix », de Satie, « des accords de Wagner ».
En historienne, soucieuse d'exactitude, elle retrace, cette période noire pour les finistériens , revisite le passé historique de la patrie de chacun des protagonistes, restitue le portrait du Führer « Un inculte, le pire des sourds, un Dracula... ».
En femme sensible, elle a su pointer le coup de grisou , la déflagration intime qui ont révolutionné le coeur de Glaoda « pris en étau » , lui forgeant un destin d'héroïne.
En tant que romancière, Claire Fourier offre au lecteur « des silences: celui qui montait du piano ,celui d'Hermann dans le lit de Glaoda », meublés par la langue russe « affectueuse et sensuelle ». Elle crée le suspense en abordant le contexte dramatique, moteur de la narration. Des rebondissements ponctuent le récit: « Cela devait arriver » ou en laissant planer un pressentiment «  inexorable ». Elle oppose deux mondes: «  la constellation nocturne , civilisée , humaine à la planète diurne, barbare ».A chaque page, on retient son souffle: on peut s'attendre à une explosion , une arrestation, un sabotage, une fusillade, un pilonnage, ou à la contemplation du « soleil cramoisi coulant dans la mer d'Iroise ou des hosties de soleil sur la mer ».
Claire Fourier brosse avec beaucoup de psychologie le trio : père, fille et 'le boche'.
Les protagonistes savourent des complicités nouées sur l'instant, « une entente en deçà des mots ».
Son écriture est à la fois poétique « le poète rêvait de lèvres de miel. Des perles de pluie brillaient dans l'herbe courte.», sensuelle(pour évoquer « Le saut dans un état de grâce » des amants bravant l'interdit), étayée par de nombreuses références culturelles(Rilke,Goethe, Heine), irriguée par la musique, cristallisée par la peinture froide, mélancolique de Friedrich ( commentée dans les moindres détails).
Le bandeau : « Au-dessus de la haine »résume bien le dessein de Claire Fourier, intention clairement formulée par ces mots: « donner tort à la guerre, entrer en résistance supérieure » . N'est-il pas temps d'éradiquer les relents germanophobes? Ce roman s'inscrit dans le processus de la réconciliation engagée , avec sous-jacent les notions de pardon ( enterrant la hache de guerre) et de tolérance ainsi que l'esprit européen.
Le père est-il sincère quand il porte un toast « à l'entente à venir de nos 2 peuples »?
Une phrase clé qui cerne bien la tonalité du roman: « En temps de guerre , il y a 2 sortes de gens. Les haineux rajoutant à la haine, les aimants rajoutent à l'amour ».
Claire Fourier signe un roman puissant , un jalon essentiel du devoir de mémoire , conjuguant, en italique, la fresque historique ( la construction de mur atlantique)et une love story si improbable de ces « maquisards de l'amour ». « Une histoire sublime et douloureuse » à portée universelle « qui peut arriver à n'importe qui , sous d'autres latitudes » à toute époque. L'auteur ayant choisi de donner les pleins pouvoirs à l'Amour sans frontières, décline un hymne à la paix et met en valeur les écrivains de langue allemande. Un roman rassérénant porteur d'espoir.
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