Pourtant, on devrait haïr un tel univers qui renvoie l’homme à sa petitesse, l’étouffe, l’humilie à chaque pas, lui fait prendre conscience de sa faiblesse. Mais on succombe plutôt à la séduction de son mystère, à son charme vénéneux, à ce bouillonnement de forces déchaînées.
Car telle est la jungle. Si visiblement indomptée qu’elle est comme un écho à la liberté.
Je remarque aussi avec stupéfaction que leurs étuis péniens servent de vide-poches. Tout en parlant, certains retirent la tape de feuilles bouchant l’extrémité de la coloquinte, penchent leur étui vers le bas, le tapotent, et en extraient de menus objets ainsi qu’un peu de tabac dont ils s’empressent de faire des cigarettes…
Il y a une dizaine d’années je me suis d’abord aperçu qu’il m’était impossible de vivre pleinement des événements importants à travers le prisme d’une caméra ou d’un appareil photo. Je revenais avec des images mais je perdais l’essentiel, le moment vécu. Au lieu de regarder avec mes yeux, avec ma tête, avec mon corps, je pensais angle de vue, diaphragme, séquences ou plan de coupe.
Les mères portent leurs bébés serrés dans des filets de fibres disposés sur le dos et retenus par une cordelette au niveau du front. Henki m’apprend que nombre de ces bébés meurent sur les chemins de montagne quand leurs mères tombent.
Le spectacle qui nous y attend chaque fois est d’une beauté grisante. Aussi loin que porte le regard, il n’accroche que l’infini des montagnes se succédant comme les vagues d’un océan vert bousculé par la tempête. Et nous sommes les marins de ces mers immenses.
Je me suis souvent dit que la mort n’était plus à craindre pour ceux qu’elle avait suffisamment épargnés en leur laissant le sentiment d’un sursis presque immérité. Pour eux, elle venait quand il le fallait, à son heure, leur rappelant qu’ils avaient suffisamment profité de ce temps supplémentaire qui n’aurait peut-être pas dû leur appartenir.