Citations sur Tendresse des loups (12)
Il y a des instants dans la vie, aussi fulgurants que le sont les rêves, qui en un éclair nous projettent au ventre la violence sans bornes de notre fatale absurdité.
Je traversais Rome en faisant toujours plus haut glisser la robe de Mina ; ses cuisses de lumière incendiaient l’histoire. Qu’auraient été ces deux mille ans sans sous ma main les cuisses brûlantes de la plus belle des femmes ? Je caressais ces deux mille ans; j’en eusse pétri cent mille.
–Alors, Mina, choisis : à gauche, à droite, devant ?
–Au sud, le plus au sud possible, je voudrais passer ma vie à rouler vers l’été.
- Tu es trop anxieux, Léo, trop sauvage, tu passes ta vie dans tes romans noirs, tu ne veux voir personne; je te le répète, Léo, je t'aime mais tu me rends anxieuse moi aussi, tu m'angoisses, il faut me laisser sortir!
Je me sentis plus seul, plus sombre que le gouffre qui soufflait dans mon dos. Je ne reconnaissais plus ce port, ce phare, ces montagnes, ce restaurant là-bas où ils nous attendaient jubilant de notre dispute, sachant très bien qu'elle vaincrait, qu'ils étaient la beauté, la joie de vivre, et moi un esprit noir.
-Viens, me dit-elle doucement, ce n'est pas très poli, ils nous attendent.
Je la suivis.
Qui étais-je moi, sinon ce pitoyable voleur de tapis ? Ce clown de toitures ? Non, j'aurais beau lui raconter des histoires tous les soirs pour l'endormir, et Dieu sait si j'en savais des histoires depuis dix ans que je traînais dans mes poches et dans tous les recoins de ma vie toute la Série Noire, il y aurait bien un soir où elle m'enverrait paître, moi et tous mes paumés miteux du Bronx et de Frisco.
On ne vit pas dans une carte postale.
- Avec toi, Fenouil, je vivrais dans une enveloppe.
Ils sont souvent fermés, dès septembre, ces vieux petits châteaux, pavillons de chasse blasonnés, maisons de maitre à quadruple génoise et fenêtres à meneaux, anciens couvents restaurés flanqués d'une piscine, pour Parisiens, Belges, industriels dont la fille peint, poètes d'août, pâmés de Jean Giono sur matelas gonflables, experts en chlore.
Avait-elle vraiment disparu? Non, impossible, elle jouait... Pourtant les minutes passaient; mon souffle se fit haletant. J'ouvris la bouche pour crier, ses lèvres se plaquèrent aux miennes. Son visage se découpait à l'envers sur le ciel, la malice incendiait son regard.
- Tu as eu peur?chuchota-t-elle sur ma bouche, ses deux mains posées sur mes yeux.
Le rouge nocturne de la rose que Mina avait piquée dans ses cheveux au-dessus de l'oreille était comme un cri dans le roulis fané des toitures où se diluaient toutes sortes de mauves légers, de fauves éteints, de bruns roux, chocolat, mordoré et toute l'averse des ombres toscanes, calcinées ou à peine rosies par la langue d'un chat et les soleils rouillés de l'automne. J'étais contre elle et sous le ciel dans le plus beau musée du monde.
Ce n'était jamais toi. Vingt fois, trente fois je remontai le cours, le redescendis, de plus en plus vite, de plus en plus hagard ; cent fois je crus te voir, cent fois ce fut une autre. Je me précipitais vers des toilettes, mon ventre se tordait, aussitôt je ressortais de peur de te manquer.Grouillante et rieuse la nuit passait. Hurle ! me criais-je, hurle ! seules les larmes giclaient.