La fiancée des corbeaux - René Frégni - Gallimard - lu en avril 2019
Et voilà, mon 4ème Frégni, et toujours aussi accro.
René nous emmène toujours en Provence, du hameau de Vinon à Manosque, de Manosque à Nice, de Manosque à Montpellier, en passant par Cannes et l'île Sainte-Marguerite, Moustier-Sainte-Marie, et ces merveilleux allers-retours nous sont décrits dans son cahier qu'il tient comme un journal de bord.
Octobre, Marilou sa fille est partie vivre sa vie d'étudiante à Montpellier.
"Ma fille est partie vivre dans une autre ville, vivre sa vie. Dix-huit ans avec ma fille, dans cet appartement au milieu des tuiles, des cheminées et des oiseaux. Maintenant je vis avec le silence.",
La fiancée des corbeaux, c'est Isabelle, l'institutrice maternelle du petit hameau de Vinon qui vit avec son père Félix dit Lili, Lili n'a plus toute sa tête. René s'occupe de Félix presque tous les mercredis quand Isabelle fait ses courses à Manosque "J'ai franchi deux rivières et je suis allé garder Félix. Félix a quatre-vingt-quinze ans. Tout le monde l'appelle Lili dans le village... pendant trois heures je marche à petits pas autour de leur maison en tenant Lili par la main." Félix décède le 23 janvier. René participe aussi aux travaux de jardinage chez Isabelle.
Et c'est ainsi que d'octobre à juin, nous nous promenons dans le quotidien fait de tout et de riens de René Frégni, nous y recroisons son ami Tony sorti des Baumettes. Nous verrons avec lui ses voisins et surtout ses voisines qu'il observe de sa cuisine quand elles sont dans la salle-de- bains et dont il admire les formes. Et oui, René aime les femmes, leurs seins, leurs formes.
On fait la rencontre étonnante d'un schizophrène aussi. Il évoque les personnes qui sont déjà partie de l'autre côté, sa maman qu'il aime plus que tout. Il a parlé très peu et pour la première fois de son père.
René Frégni nous raconte, se raconte, avec des mots d'une tendresse infinie, son cahier de bord est une source d'émerveillements, il a l'art de nous aimanter par ses mots, ses phrases, ses chapitres dans lesquels il distille sa poésie.
Et son Isabelle, ah son Isabelle ! Je vous dévoile le dernier paragraphe du livre, je ne peux m'en empêcher :
"Je prends la main d'Isabelle. Je sais que cette femme ne me fera jamais souffrir. Il y a dans cette main une vie de tendresse.
Je n'ai jamais vu autant de corbeaux qu'autour d'Isabelle. Dès l'aube ils noircissent les trois grands chênes qui dominent sa maison. Ils restent là des jours à observer ses gestes et ses pas, la douceur de sa vie. Je suis comme eux,,je les comprends.
Nos mères ne nous abandonnent pas, elles nous confient en partant à un monde de douceur, un petit coin qui ressemble à l'enfance, à un jardin, aux jours d'été, à la lumière."
Terminer son livre sur le mot lumière, c'est beau.
Et bien voilà, je suis toujours aussi accro de ses livres et je vais entamer ma 5ème lecture : "Les chemins noirs", paru chez Folio, je peux donc l'emporter partout !
René Frégni se dévoile tout en délicatesse durant une année, son carnet à la main, il écrit tout ce qu'on ne voit pas aussi intensément qu'après avoir couché la beauté sur papier. L'encre est pour René Frégni le colporteur de la beauté, la mésange aux ailes déployées, les corbeaux qui dansent autour d'Isabelle, sa belle, sa muse, sa dulcinée.
On sent dans la fiancée des corbeaux toute l'importance des mots et des livres pour ce grand amoureux. Il place les mots sur le trône de la vie. Il les enlace de tout son être, il va jusqu'à érotiser les courbes des lignes littéraires, comme l'encre qu'il associe au sperme bleu. Il observera longtemps de chez lui les va et vient des hommes et femmes allant se soulager aux cuvettes d'à côté. Les femmes semblent le fasciner. Lorsqu'elles se soulagent, il ne retient que la beauté d'un sein ou le galbe des fesses. A côté des femmes, des corbeaux et des mots, il y a tous ces fantômes, ces êtres qui ont traversé la vie de l'auteur, dont il se souvient comme faisant partie de lui.
René Frégni m'avait totalement subjuguée dans - Je me souviens de tous vos rêves - je garde ici pour la fiancée des corbeaux un sentiment plus mitigé expliqué par une profondeur à hauteur humaine et existentielle moins travaillée que dans le précédent récit. Il n'en reste pas moins que cet auteur est un véritable poète, un magicien de la langue française qu'il remplit à merveille du souffle de son âme éprise du beau.
« Le printemps est un barbare qui déchire les robes, s'engouffre dans les villes, saccage les citadelles de la raison.Le printemps est une cathédrale de feuillage et de désir qui surgit dans les ruines de l'hiver. »
« L'amour a la beauté d'un nuage . Il se forme vite, brille un instant sous la lumière de soufre et se désagrège avant d'atteindre l'horizon . »
Deux extraits significatifs de ce très bel ouvrage lu d'une traite, une espèce de chant mélancolique qui parle d'amour et de tendresse——une tendresse infinie——- voué aux collines de sa Provence , pétri de nostalgie, lumineux , infiniment poétique où l'amour d'une mère transparaît au détour de chaque page: « Mortes, nos mères veillent encore sur nous .... »
Cueillettes , lumière dorée, souvenirs de fin d'été où René Frégni ramassait les mûres avec sa maman ,celle - ci, radieuse , un panier à la main , heureuse de croiser quelques vaches rousses et de loin en loin, « le vol noir des corbeaux. »
A cette époque bénie , tout était simple et beau, surtout pas de leçon à apprendre par coeur ( le lecteur se souvient d'un autre ouvrage et des douleurs ....ressenties à l'école ) .
Une vallée dorée et la paix tiède de ces nuits - là , irradiées de bonheur .
L'auteur nous offre une longue ballade mélancolique aux côtés de Tony: vingt - sept ans de prison, au coeur des hauts murs noirs des centrales et des maison d'arrêts , Tony, un paradoxe, une énigme .... que René écoutait chaque semaine ——-, lui qui a appris à lire seul ——- en écrivant ...après des années d'école buissonnière....
Ce Tony , connu, respecté , craint par les restaurateurs , un Tony crépusculaire , inquiétant ...qui a connu tellement de cages...
En riant comme un bossu , l'auteur se remémore les quatre - cent coups à Marseille ...
Tout au long de cet ouvrage , de ce voyage cruel et tendre , René Frégni accompagne et « garde »surtout Lili, l'homme à la mémoire perdue , un homme qui a traversé deux guerres, un siècle et ne sait pas son nom...
Le père d'Isabelle ,cette jolie institutrice—— aux seins que la plupart lui envient—- fait la classe à trente enfants , elle qui n'en a pas « -La fiancée des corbeaux. »
René Frégni marche sur les chemins et les routes inlassablement , s'imprègne des couleurs , des senteurs inimitables de « SA Provence . »
Où l'on croise Jean Giono , R. J. Ellory, Jean-Genet, Jim Harrison, Jules-Renard et ses aphorismes , des polars scandinaves au hasard des lectures de René et d'Isabelle, Marilou la fille de l'auteur , étudiante à Montpellier partie vivre sa vie.... d'étranges silhouettes , dans un décor âpre et sauvage , des prisons sombres, une Provence brûlée par le gel et l'été ...
Émouvant , magnifique voyage ..
« C'est tellement émouvant une belle histoire.
On peut s'y cacher, s'y enfouir , disparaître et être partout à la fois.
Depuis vingt ans , je me glisse avec exubérance dans tous mes romans, dans chacun de mes personnages, des plus solaires aux plus détraqués .. »
« La Provence est âpre , brutale , contrastée .
Je l'aime parce qu'elle reste imprévisible et sauvage , brûle tout ce qui se hasarde hors de ses ombres maigres en été , tire sur l'argile et fait éclater les maisons , l'hiver elle fend les arbres et les pierres , traverse les villes comme un rasoir ouvert .... »
Le titre fait penser à une sorte de Wuthering Heights à la française, à un roman noir, ou à un feuilleton romanesque ou fantastique...
Faux sur toute la ligne: la fiancée des corbeaux est une douce maîtresse d'école , Isabelle, qui fait la confiture de coings comme personne et dont les seins et les gratins de courgettes sont détectables.
Son papa, le vieux Lili, après avoir planté des arbres partout dans le pays, perd un peu la boule, et il faut le surveiller comme du lait sur le feu...lui qui vous appelle d'un nom différent tous les jours. Alors René Fregni se dévoue, à cause des seins d'Isabelle, beaucoup, et aussi, un peu, de ses gratins.
Il opte donc pour une vie pendulaire : un coup en ville, dans son appartement de Manosque, avec vue imprenable sur une salle de bains très animée, un coup à la campagne, dans le hameau de Vinon, arboré par Lili, au plus près de la douce Isabelle.
Des figures amicales défilent: Tony , le parrain marseillais sorti des Baumettes, à qui René, dans son atelier d'écriture, a appris le plaisir des mots, et qui voudrait bien troquer le beretta contre un stylo; quelques cinglés, aussi, inquiétants comme ce schizophrène bariolé qui annonce à Fregni qu'il va le débarrasser de certain juge qui lui a fait des misères, ou hautement poétiques comme cet ancien aliéné, mutique, qui ne "parle" que par Fleurs du Mal interposées!
Une faune- et une flore, Fregni aime trop les femmes pour réserver ses regards à la seule Isabelle!- un peu foutraque, pleine d'humanité et de saveur, parce que le regard qui s'y pose, celui de Fregni, est tout de fraternité et de confiance.
La chronique autobiographique est plus apaisée -et moins arrosée- que celle de "Elle danse dans le noir": Marilou, la fille adorée , a grandi, elle étudie à Montpellier, son papa s'est posé, et la fiancée des corbeaux ne devrait pas tarder à lui ouvrir ses bras, la haute Provence est belle comme un poème, et même les plus cruels malfrats ont du charme à revendre...
Bienvenue chez Fregni, au pays des fraternités chaleureuses!
Une lecture saveur, une lecture douceur, une lecture plaisir, à déguster comme une figue mûre, qui vous laisse les doigts tout poisseux de sucre et de saveur, le parfum sur la lèvre et le coeur en fête.
Une rencontre avec un frère qu'on voudrait ne jamais quitter, un ami avec qui on aimerait partager le pain et le vin, un lecteur avec qui on discuterait longtemps des mérites partagés de Giono et de Baudelaire , un écrivain avec qui écrire deviendrait aussi naturel que respirer ou aimer...
Je viens de passer une année délicieuse en compagnie de René Frégni et son journal. Une année pour parler de tout et de rien. A visiter ses souvenirs, sa jeunesse, son passé. Une année pour m'intéresser à la belle Isabelle, la douce fiancée des corbeaux, et à son père Lili, planteur d'oliviers et de sagesse ancestrale. Une année aussi pour observer les jeunes locataires d'en face toujours aussi prompts à se vêtir et à se dévêtir. Une année également à comprendre l'amour qui unit l'auteur à sa fille partie faire ses études à Montpellier, et à sa mère partie tutoyer les nuages. Une année encore à partager l'amitié qui lie René Frégni à un ancien taulard...
Des moments de vie, des chagrins, des instants enchantés, des petits bonheurs semés comme des petits cailloux pour reconnaître un chemin, celui de la vie toute simple entre les mots, le plaisir et le besoin d'écrire, le partage, l'amour et l'amitié.
Comme elles sont belles ces pages ! Comme elles sentent bon la Provence et ses villages et villes de Manosque, de Moustiers-Sainte-Marie, Marseille. Comme il est doux de se plonger dans ce bain d'encre et d'en ressortir rafraîchie, reposée, rassérénée !
C'est le troisième livre que je lis de cet auteur et à chaque fois son écriture me touche un peu plus. En fait, je dois bien l'avouer : je crois bien être tombée amoureuse de vous monsieur Frégni, de votre regard apaisé sur les gens et les choses, de votre poésie aussi.
« Certains écrivains dressent une muraille entre l'écriture et la vie, la réalité et les songes. J'écris quand je vis, je vis quand j'écris. Chaque mot ajoute un élan à mon geste, à mes pas. Chaque pas m'offre un mot ».
Merci Kawane pour cette excellente idée de lecture :0)
En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.