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sur 102 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ils étaient jeunes, ils étaient beaux, ils rêvaient pour leur pays de paix, de solidarité, de liberté, d'égalité. "Ils", ce sont Ruth, Dora, Hans et Ernst, une bande d'amis, journalistes ou auteurs, photographes ou étudiants. Et leur pays, c'est l'Allemagne, une nation exsangue après la défaite de 14-18 mais où tout est à faire pour un monde meilleur. Adhérents du Parti des travailleurs socialistes, ils luttent pour ne plus jamais être soldat et devoir se battre dans les tranchées, pour que les femmes soient les égales de des hommes, pour que les ouvriers puissent vivre décemment. L'arrivée d'Hitler au pouvoir brise leur élan. Elu démocratiquement, le führer ne tarde pas à s'emparer des pleins pouvoirs et à instaurer la terreur. Les opposants au régimes sont abattus, envoyés dans les premiers camps de concentration ou déchus de leur nationalité et contraints à l'exil. Ruth, Dora, Hans et Ernst arrivent ainsi à Londres où, malgré l'interdiction faite par le gouvernement , ils s'organisent pour dénoncer le régime nazi et ouvrir les yeux des démocraties européennes sur les velléités guerrières du nouveau chef d'état. Mais l'Allemagne ne tolère aucune critique. Les dissidents sont menacés, enlevés, tués, même en territoire étranger. C'est au prix fort qu'ils paient leurs convictions et leurs engagements.
Quelques soixante-dix ans plus tard, Ruth, professeure de littérature à la retraite, reçoit, en Australie, son pays d'adoption, un colis contenant les derniers écrits d'Ernst, un récit de ces évènements rédigés dans une chambre d'hôtel new-yorkaise, juste avant la deuxième guerre mondiale. Au fil de sa lecture, Ruth se souvient...de sa jeunesse, de son amour pour Hans, de sa cousine Dora et d'Ernst son éternel amant. Défilent alors la lutte, la politique, les engagements, les amours, les trahisons, les persécutions, tous les amis qui se sont battus en vain contre la montée du nazisme.


Intrigues politiques et amoureuses se conjuguent dans cette fiction très réussie, basée sur des faits réels, que l'auteure a entrepris d'écrire après sa rencontre avec Ruth, seule survivante de la bande d'amis idéalistes. Elle a choisi d'entremêler les souvenirs de Ruth, en Australie en 2001 avec ceux d'Ernst Toller, à New-York, en 1939. le procédé, déstabilisant dans les premières pages, finit par ne plus gêner, à mesure que l'on s'y habitue et que les deux récits se rejoignent. Finalement, on est pris dans cette histoire et on ne la lâche plus jusqu'aux dernières pages. Avec brio, Anna FUNDER revient sur une époque qui a fait l'objet de tant de livres, films et documentaires, qu'on croit la connaitre par coeur, mais elle le fait du point de vue de la résistance allemande dont on parle peu en définitive. Et pourtant, quel courage il fallait pour oser s'opposer aux nazis ! Réfugiés en Grande-Bretagne, en France, en Tchécoslovaquie, ou ailleurs, désormais apatrides, ils vivaient de peu, n'ayant droit à aucune activité professionnelle ou politique. Révoltés par les agissement d'Hitler, inquiets pour leur pays, mais profondément convaincus que le nazisme ne saurait perdurer, ils ont sacrifié jeunesse, amours, famille au service de leur cause. Comment penser à l"avenir quand l'Allemagne prépare la guerre? Comment envisager de fonder une famille alors que le danger rôde, partout, tout le temps ? Jeunesse perdue, avenir incertain, ils se sont brûlés les ailes au feu de l'Histoire. Certains, perdus loin de leur pays, de tout ce qui était leur vie, ont renoncé à leurs idéaux dans l'espoir de redevenir "quelqu'un", ils ont trahi par faiblesse, par peur ou par désespérance.
L'histoire bouleversante de Ruth, Hans, Dora et Ernst, de vraies personnes devenues personnages de roman, est rendue merveilleusement dans un récit balayé par le souffle de l'Histoire. Ces destins tragiques, brisés, nous emportent dans un tourbillon d'émotions qui vont de l'admiration à la pitié, en passant par la tristesse et l'effroi. Une belle réussite, portée par une plume sensible, qui a su s'effacer pour laisser la parole à ses héros méconnus. Enrichissant, passionnant, magistral !
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Un grand livre, l'histoire avec un grand H vue par différents personnages , simplement incroyables. Ils se souviennent de Dora, syndicaliste , femme d'action et anti nazis. Chacun leur tour, leur récit débute a l'avènement d'Hitler en 1933 , leur fuite, leur détermination a prévenir le monde du danger . Ils vont jusqu'au bout de leurs convictions, courent tous les risques . Très enrichissant historiquement et humainement . A lire absolument .
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L'auteur est australienne, son long roman , inspiré par la vie de son amie Ruth Blatt, à qui elle veut rendre hommage, je l'ai trouvé captivant et poignant aussi.

Deux points de vue alternent, au présent et au passé : celui de Ruth, très âgée et malade, et celui d'Ernst Toller, auteur allemand qui a réellement existé , ayant dû s'exiler, décédé en 1939.

Tout commence en 1933, à Berlin. Ruth et sa cousine Dora intègrent un groupe de militants anti-nazis . Inquiétés par la police, ils devront tous quitter l'Allemagne. Depuis l'Angleterre, ils essaieront d'alarmer les autres pays du danger que représente Hitler. L'exil difficile, les trahisons terribles, les meurtres froidement et injustement prémédités vont alors faire exploser l'unité de leur groupe idéaliste.

A travers son autobiographie, Ernst Toller évoque la femme qu'il a aimée, Dora, et qui est morte tragiquement. Il laissera dans un coffre-fort un message demandant que son manuscrit soit envoyé à Ruth. Mais elle ne le recevra que longtemps après...

J'ai beaucoup aimé ce que Ruth dit à propos de son lien et de celui d'Ernst à Dora:" Nous étions les deux êtres dont elle était le soleil. Nous évoluions dans son orbite, et c'est sa force à elle qui nous faisait avancer." C'est vrai que Dora était une belle personne, passionnée, courageuse, déterminée dans ses convictions. Jusqu'à en perdre la vie.

La pensée de toutes ces vies brisées par le nazisme fait toujours frémir.

Un témoignage fort et émouvant.
Des destins tragiques à ne pas oublier.
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Dans la plupart des romans, la narration respecte tout au long du récit le temps grammatical employé dès les premiers verbes. On découvre l'univers d'un personnage, le lecteur est comme immergé dans la vie de celui-ci – ses amours, ses tracas, ses faiblesses - puis viennent les dernières pages et l'on quitte ce personnage sur un bonheur, un mariage, un voyage : bref, sur un événement qui clôt glorieusement le récit et apporte une satisfaction attendue au lecteur. Cependant, après cette dernière page les personnages continuent d'exister - au moins dans l'imagination de l'écrivain - et libre à chacun de rêver la suite.
Tout ce que je suis déroge à ce schéma classique. Grâce à une double narration, les époques se croisent et les temps nous jouent des tours : le présent revit le passé, et le passé se souvient d'un passé lointain. Les personnages, découverts sous différents angles temporels, sont comme mis à nus. Anne Funder propose un récit minutieusement réfléchi et agréablement soigné, qui ne laisse aucune question en suspend lorsque l'on tourne la dernière page : il s'agit vraiment d'un excellent roman.

« Un colis FedEx sur le paillasson. Je me penche tant bien que mal pour le ramasser, avec ma patte raide : imaginez une girafe chauve dans une robe de chambre sans nom... Je plains le passant qui pourrait m'apercevoir, pauvre gloire avec ses trois poils de cul sur la tête. Un frisson de plaisir pervers me traverse à cette idée, puis je me dis que les enfants pourraient me voir, et là, non merci, je n'ai aucune envie de les épouvanter. »

Le roman commence de manière inattendue par le récit teinté d'humour d'une dame presque centenaire qui raconte son quotidien au présent de l'indicatif. Si celui-ci n'a rien de drôle et semble morne et insipide, elle parvient à le rendre intéressant en maquillant sa souffrance ainsi que la détresse de sa vieillesse par une bonne dose d'autodérision comme seules les personnages âgées peuvent le faire. le récit est parfaitement honnête et le rire est franc. On tourne les pages et l'on découvre Ruth : sa maladie, sa maison, sa calvitie, sa femme de ménage. le récit s'attache aux plus petits détails et l'on s'impatiente quelque peu de ce récit qui piétine : qu'il est difficile de réaliser combien la vieillesse rend la vie fade et insignifiante.

« J'adore Central Park. En ce moment, un homme juché sur une caisse à savon harangue les passants, et tente de les rassembler comme des papiers chassés par le vent. Je connais ce sentiment, ces yeux qui hurlent « le monde m'appartient, arrêtez et écoutez moi, je peux tout vous révéler ». C'est cette promesse, d'une pensée tout juste éclose, d'une foi nouvelle, que fait l'Amérique à tous ses nouveaux arrivants. »

Le deuxième chapitre s'ouvre sur un nouveau personnage : Toller, qui prend le relais de la narration. Sa voix masculine est moins fraîche, moins drôle : il semble vieux et fatigué, engoncé dans le fauteuil d'une chambre d'hôtel. C'est un vieux bonhomme qui souhaite apporter quelques modifications au récit autobiographique qu'il a écrit quelques années plus tôt et ainsi faire revivre par la magie des mots son amour disparue. On découvre sa vie à l'hôtel, encore plus terriblement morne que la vie toute ridée menée par Ruth, et on fait brièvement connaissance avec sa secrétaire, Clara. Lorsque Toller commence à dicter quelques phrases à celle-ci, on comprend que non seulement son récit, mais également tout son existence sont imprégnés par la politique allemande et les deux grandes guerres.

« A l'été 1914, tout le monde voulait la guerre, moi compris. On nous disait que les Français avaient déjà attaqué, que les Russes se massaient à nos frontières. le Kaiser nous avait tous appelés à défendre la nation, quelle que soit notre appartenance politique ou religieuse. « Je ne connais plus de partis, je ne connais que des allemands... », avait-il déclaré, avant de poursuivre : « Mes chers Juifs... » Mes chers Juifs ! Quelle émotion pour nous d'être personnellement conviés au combat ! Cette guerre semblait sacrée et héroïque, pareille à ce qu'on nous avait enseigné à l'école. Quelque chose qui donnerait un sens à la vie et nous rendrait purs.
Qu'avions-nous fait, de toute notre existence, pour mériter ce genre de purification ? »

A ce stade du récit, le lecteur trépigne : nulle trace des quatre jeunes militants allemands présentés dans la quatrième de couverture, nulle évocation du régime nazi. le récit est lent, à l'image de ces deux narrateurs que l'on sent fatigués, physiquement comme intellectuellement – la lecture n'est donc pas captivante. Néanmoins, on s'étonne du choix d'une double narration par chapitres alternés – et la surprise est plus grande encore lorsque l'on découvre que soixante-trois années séparent ces deux récits : Toller confie ses pensées en 1939, alors que Ruth narre son assommante réalité en 2002.

« le chat gratte à la porte ! Qui l'a laissé sortir ? Scratch, scratch.
Mein Gott, ce que j'ai mal au cul à force d'être assise. Ah, ben oui c'est vrai, je n'ai pas de chat. C'est une clé dans la serrure, quelqu'un qui entre.
Bev se tient devant moi, l'air contrarié. Par ma faute, c'est sûr. Quoique, à y regarder de plus près, d'autres options me paraissent possibles : sa teinture maison, d'un rose-orangé venu d'ailleurs, ou son oeil malade qui parpalège comme un fou aujourd'hui. A moins que ce ne soit sa voleuse de fille, Seena, une ex-infirmière accro à l'héroïne, dont le triste sort, je m'en suis rendue compte au fil des ans, est tellement terrible que Bev préfère éviter le sujet.
-Bon, alors, bougonne-t-elle, on prend racine ? »

Encore quelques pages et le mystère se dénoue par la magie de quelques phrases : on comprend et on jubile ! Car si le choix narratif d'Anne Funder est audacieux, il est surtout ingénieux.
Ruth commence à souffrir d'une dégénérescence de la mémoire qui se traduit par une quasi-incapacité à restituer des événements très récents – ainsi, elle ne parvient pas à se souvenir du nom du médecin qui la soigne - ainsi que par un reflux d'anciens souvenirs qui semblaient oubliés, mais qui resurgissent dans son esprit aussi nettement que s'il s'agissait de la réalité. Durant les premiers jours, ces souvenirs sont brefs et sont déclenchés par des éléments du présent – un bruit, une couleur, une odeur. Puis, progressivement, ces souvenirs s'allongent et empiètent de plus en plus sur le présent et la réalité de Ruth. Celle-ci se laisse submerger et n'essaie pas de reprendre le contrôle de sa mémoire, car ces souvenirs la font revivre et surtout, insuffle une nouvelle vie à des êtres chers disparus. Ainsi, le passé envahit le présent graduellement et le lecteur est emmené très naturellement dans le passé, alors qu'Hitler est sur le point d'être nommé chancelier.

« ...nous étions convaincus que le peuple, une fois correctement informé, reprendrait ses esprits et pencherait du côté de la liberté. Nous nous trompions : c'était sous-estimer le pouvoir de séduction du nazisme, ce dépassement du moi qu'il offrait, cet abandon, corps et âme, au collectif. »

On découvre quelques jeunes Allemands engagés dans la vie politique de leur pays : alors qu'Hitler est nommé chancelier, ils ne renoncent pas à leurs idéaux et poursuivent leur militantisme contre le régime nazi. C'est tout entier, corps et âme, qu'ils s'engagent dans leurs actions politiques, même dans l'exil, alors qu'ils n'ont plus ni maison, ni famille, ni vêtements, même dans la misère et la famine, même sous les menaces et l'oppression nazie: ces hommes et ces femmes donnent leur vie pour défendre leurs convictions. Ils souhaitent anticiper la guerre, changer l'opinion publique allemande, faire comprendre aux pays d'Europe qu'Hitler se prépare à les attaquer, mais le monde est sourd à leurs cris et aveugle à leurs écrits. Ils se démènent pour braver les interdits imposés par leur statut de réfugié et correspondre avec ceux qui sont encore en Allemagne et qui n'ont pas encore été emprisonnés ou assassinés - ces héros dont on ne parle jamais et grâce auxquels de précieux documents sont sortis des bureaux d'Hitler. Ruth, Dora, Hans et tant d'autres rassemblent des preuves, traduisent jours et nuits des courriers et rédigent des articles qu'ils parviennent à glisser dans la presse anglaise. « L'épée de Damoclès de l'expulsion se balançait au-dessus de nos têtes. »
Durant près de cinq cents pages, on suit leur terrible combat contre les injustices du Troisième Reich, mais aussi le combat qu'ils se livrent à eux-même pour ne pas sombrer dans la détresse et dans la peur, pour ne pas succomber à leurs propres démons.

Le récit de Toller est différent mais tout aussi enrichissant. Détaché du réseau des militants, il est surtout dramaturge et poète avant d'être un militant socialiste. Grâce à ses pièces de théâtre, il transmet des messages forts au peuple et dénonce ainsi les injustices du Troisième Reich. Excellent orateur, il participe à de nombreuses conférences : il use ainsi de sa notoriété et de son charisme pour soutenir les actions des militants socialistes. Ses souvenirs coïncident avec ceux de Ruth et permettent de les étoffer car il s'attache plus à la psychologie des personnages et aux événements externes à cette lutte politique permanente.
Alors que les personnages décrits par Ruth sont forts et dynamiques, toujours dans la réflexion et dans l'action, le récit de Toller permet d'en montrer les faiblesses, et notamment celles de Dora qui est le personnage le plus fort de l'histoire. C'est elle qui est au coeur du réseau des résistants allemands, toute sa vie et toute son énergie sont consacrés à son combat contre Hitler et le nazisme. Elle fume cigarette sur cigarette, se ronge les ongles jusqu'au sang et ne dort quasiment plus depuis son exil forcé : sa chambre est envahie de dossiers et de piles de lettres qu'elle traduit, de journaux qu'elle étudie, et d'autres documents illégaux. Toller est son amant. Leur amour est puissant, mais les moeurs de l'époque prônent la liberté sexuelle et le détachement sentimental – alors ils taisent la profondeur de leurs sentiments et s'amusent de leur relation. Malheureusement, lorsque Dora décide de se donner toute entière à sa lutte, elle néglige sa vie sentimentale et oublie l'essentiel. Toller, bien qu'artiste engagé, souhaite vivre un amour intense et peut-être construire une vie de famille : c'est ainsi que petit à petit, leur relation s'étiole. Toller emménage avec une autre femme. C'est une défaite pour Dora, cette battante qui se dédie entièrement à une cause et oublie de se battre pour elle-même : le peu d'énergie qu'elle conservait pour Toller, elle le consacre alors à son combat. Ce n'est plus une femme, c'est l'incarnation même du militantisme social anti-nazi : elle fait le choix de mourir pour idées qu'elle défend. Car s'opposer à Hitler, c'est décider de mourir. le récit de Toller permet donc de donner plus de profondeur aux personnages et de réaliser l'ampleur de leurs sacrifices.

L'écriture d'Anna Funder est parfaite, chaque phrase est écrite avec intelligence. Malgré la complexité des événements politiques en Allemagne, le récit reste simple à comprendre et se lit avec une étonnante facilité. Les personnages apparaissent subtilement et prennent au fil des pages une vraie épaisseur : l'auteur s'attache à les décrire aussi bien physiquement que sur un plan psychologique, et leur investissement politique vient parfaire cette description. Rien n'est négligé ou laissé au hasard, la plume de l'auteur sert efficacement l'histoire. Tout semble si vrai ! J'avais l'impression de lire une autobiographie, tellement le récit est réaliste et les émotions vivantes ! L'écriture est si joliment travaillée qu'elle se laisse oublier, ce qui permet au lecteur de se concentrer sur l'histoire et de l'apprécier à sa juste valeur.

Tout ce que je suis est un roman très fort et très enrichissant. Enfin un roman traduit en français qui met en avant la lutte des allemands contre la montée du nazisme ! La résistance française est régulièrement mise à l'honneur dans les libraires, mais il est bien plus intéressant de se plonger dans la résistance allemande de l'avant-guerre ! Les Allemands ont si souvent été critiqués que l'on oublie les actes héroïques accomplis par ceux d'entre eux qui ont refusé de se plier à un gouvernement totalitaire et ont décidé de se battre pour sauver des vies. Il faut un courage immense et une force de volonté incroyable pour se battre contre des frères, des maris, des amis, des collègues, pour se battre contre son propre peuple au péril de sa vie. Déchus de leur nationalité, contraints à l'exil et menacés d'assassinats dans les camps de concentration, ces militants allemands n'ont jamais cessé de se battre pour la liberté et les droits individuels. Tout ce que je suis est un roman à la fois magnifique et tragique dont la trame est constituée de faits réels et de personnages ayant existé, ce qui renforce la valeur de l'ouvrage et sa puissance littéraire. C'est un livre que je relirai sans hésitation, une vraie excellente découverte, un coup de coeur exceptionnel.

« Quand Hitler est arrivé au pouvoir le 30 janvier 1933, mon amie Ruth et ses amis ont fui l'Allemagne, et c'est en exil qu'ils ont tenté de faire tomber le dictateur. Ce livre retrace leur histoire, ou plutôt ma version de leur histoire. Ce livre en est une reconstitution à partir de fragments fossiles – un peu comme l'on pourrait garnir de peau et de plumes un assemblage d'os de dinosaures, pour tenter de se faire une idée de la bête dans son entier.(...) »


Je remercie l'équipe de Libfly ainsi que les éditions Héloïse d'Ormesson pour la confiance dont ils m'honorent.
Lien : http://reverieslitteraires.fr/
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Comme un roman d'espionnage, un thriller politique, une tragédie (histoire d'amour qui finit mal), une histoire, vraie, seuls les liants sont créés par l'auteur. Les personnages ont réellement existé, le nazisme a existé, les opposants réfugiés à Londres aussi et les espions nazis infiltrés à Londres pour les empêcher "de nuire" aussi. Donc tous les éléments sont authentiques, la romancière a génialement créé le liant.
Invention romanesque et authenticité historique dans un véritable roman d'espionnage. Je retiens la vérité historique : une réalité atroce, mauvaise, tueuse, inexcusable.
Une lecture forte, dure, l'écriture ne fait pas de cadeau à l'horrible vérité.
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« Tout ce que je suis » d'Anna Funder, roman basé lui aussi sur des faits réels et des personnages ayant réellement existé.

Les quelques 500 pages ont été dévorées en deux jours tant cette histoire m'a passionnée.

Après la Première Guerre Mondiale, des mouvements pacifistes ont vu le jour en 1919 en Allemagne, principalement dans le sud. Ces mouvements seront bien vite réprimés mais les intellectuels, les journalistes qui y ont participé deviendront des témoins de la vie politique allemande et de la montée du nazisme.

Anna Funder a choisit de nous faire suivre le parcours de deux couples : d'un côté celui formé par l'écrivain socialiste Ernst Toller et de son amante Dora, femme passionnée et militante courageuse ; de l'autre celui formé par la photographe Ruth Becker (cousine de Dora) et de son mari Hans.

De 1919 à 1933, nous découvrons la montée du nazisme en Allemagne, comment Hitler une fois au pouvoir a verrouillé et manipulé la société allemande.Le point de départ fut la chasse aux communistes après l'incendie du Reichstag : « Ils avaient commencé par la liste qu'ils avaient volée au siège du parti communiste (4000 noms) mais de nouveaux ordres bien plus larges leur étaient parvenus -arrêter ou tuer quiconque avait manifesté son opinion. S'ils vous trouvaient dans n'importe quel lieu public, bar ou café, ils vous plaçaient en garde à vue, mais pour peu que vous soyez chez vous, vous pouviez être abattu sur place, en pleine « tentative de fuite ». Pour certains, ils ne s'embarrassèrent ni d'une exécution. 8 communistes furent trouvé dans une cave de Mitte qui avait été tout simplement clouée de planches. Des gens qui allaient au travail entendaient leurs cris à travers le soupirail qui donnait sur le trottoir, mais personne n'osait leur porter secours. Les appels mirent deux semaines avant de cesser. »

Les choses ne feront qu'empirer et de nombreux journalistes, écrivains et intellectuels seront contraints à l'exil : « Depuis l'incendie du Reichstag et son lot de persécutions, 55.000 allemands, dont quelque 2.000 écrivains et artistes, avaient été contraints à l'exil. Nous étions plusieurs centaines à échouer en Grande Bretagne. On nous avait donné le plaisant surnom d' »émigrantsia » car nous étions des émigrés cultivés opposants au régime. Les juifs arrivèrent plus tard. Mais nous n'avions rien de nantis. Tous, nous étions déracinés, dans l'embarras, coupés de notre langue, souvent sans le sou, privés de lecteurs et interdits de travail. »

Pourtant, tous auront à coeur de dénoncer la situation en Allemagne malgré le danger. Si le gouvernement britannique ne les écoute pas, pensant qu'il faut accorder à Herr Hitler le bénéfice du doute (il finira bien par se comporter comme un gentleman), le gouvernement nazi, lui, ne les lâche pas. Ils sont surveillés et suivis en permanence par des espions, leurs appartement cambriolés et saccagés, ils sont victimes de tentatives d'intimidation, certains, dont Dora, seront assassinés.

Ce qui les motivait : prévenir le monde de ce qui était en train de se passer et ouvrir les yeux à leurs compatriotes : « Nous devions produire des tracts et nous débrouiller pour les envoyer en Allemagne. le jeune garçon, en particulier, avait de bonnes idées : imprimer en caractères minuscules sur du papier de soie pour boîtes à cigares, ou encore sur le papier paraffiné qui sert d'emballage au beurre anglais ou,plus audacieux, les glisser dans les prospectus nazis. Hitler avait peut-être muselé la presse, mais nous étions convaincus que le peuple, une fois correctement informé reprendrait ses esprits et pencherait du côté de la liberté. Nous nous trompions, c'était sous-estimer le pouvoir de séduction du nazisme, ce dépassement du moi qu'il offrait, cet abandon corps et âme au collectif. »

La suite, on la connaît malheureusement.

Ce roman, passionnant, se lit presque comme un roman d'espionnage.

D'un point de vue personnel, c'est le roman que j'avais envie de lire depuis des années. Je m'explique : ma grand-mère paternelle, allemande, vivait en France depuis les années 1920, mariée à un Français. Quand à 13-14 ans, j'ai découvert l'horreur des camps, j'ai été profondément choquée et me suis interrogée sur le fait que, peut-être, des membres de cette branche de ma famille avaient pu commettre des atrocités. Je m'étais toujours demandée comment des personnes pouvaient être embrigadées de cette façon et comment un pays pouvait être conduit à la barbarie. Ce roman m'a apporté beaucoup de réponses.

D'un point de vue général, ce roman a une résonance particulièrement dans la situation actuelle : « La plupart des gens n'ont aucune imagination. S'ils pouvaient s'imaginer les souffrances des autres, ils seraient incapables de leur en infliger autant……Se représenter la vie d'un autre est un acte de compassion profondément sacré…. Nous avons risqué notre vie pour aider nos semblables, ici et à Londres, à imaginer, à se représenter les choses. Ils n'ont rien imaginé. Mais si grand qu'ait été Toller, il se trompe. Ce n'est pas que les gens n'aient pas d'imagination. C'est qu'ils s'empêchent de l'utiliser. Car une fois que l'on se représente pareille souffrance, comment continuer à ne rien faire ? »
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