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Critique de HordeDuContrevent


Quintessence de la beauté, de la pureté de l'écriture, du pouvoir de la littérature, ce tout petit texte de Paul Gadenne. Court et magistral.
Publié en 1949 dans la revue Empédocle par Albert Camus, réédité en 2014 chez Actes Sud, nous avons entre les mains 34 pages en papier tissé, de couleur crème surannée, dans lesquelles chaque ligne est incandescente d'élégance narrative. Chaque ligne se fait bijou.

Sur une plage, quelque part en France, une baleine blanche s'est échouée. Ceci est le seul élément de cette nouvelle. Une baleine échouée qui fait naitre rumeurs, suspicions et devient le centre de toutes les conversations, au point que le narrateur décide avec son amie Odile, d'aller la voir de ses propres yeux. Cette nouvelle narre la rencontre. La rencontre avec la mort de ce colosse dans un décor profondément vivant. Et ce que la vision de cette mort va faire naitre chez les deux observateurs.

Il y a une transformation entre le moment où nous découvrons de jeunes gens engourdis, affalés, « écroulés sur le velours, dans un luxe bizarre de cristaux et d'appliques, nous protégeant, derrière une tenture à emblèmes », la déambulation pour rejoindre le lieu de l'échouage et l'observation. Comme si la vision puis la conscience de la mort redonnait vie. La métamorphose de la baleine en décomposition recompose le sens de la vie du narrateur, le sens de toute existence, à savoir la mort à venir. C'est fort et cela se fait en quelques pages. Brillant.

« Nous marchions à la lisière du bois. le vent nous envoyait des aiguilles de pin dans la figure. Elles se piquaient dans les cheveux mousseux d'Odile qui avait pour les en retirer des gestes de chinoise devant son miroir ».

L'arrivée au bord de la mer est éblouissante. En orfèvre des mots Paul Garenne nous offre des paysages marins absolument magnifiques débordant de vie, de senteurs, de sons, de couleurs et d'odeurs.

« Nous ne cessions pas d'entendre cette respiration lente et hautaine, ces chocs sourds, cette voix dédaigneuse de tout éclat. Les lames se chevauchaient, puis s'affalaient sur elles-mêmes, avec de grands soupirs faussement exténués. Une mousse inconsistante se rassemblait sur le rivage, où elle restait seule à frémir, tandis que la déclivité entrainait les eaux ruisselantes ».

Et la rencontre de "ce trait jeté en travers de la plage comme une rature". La baleine. Blanche, d'un blanc sans lumière, un blanc gelé, comme le blanc du lait épanché…Et son corps en décomposition décrit dans ses moindres détails. Je n'ai pu m'empêcher de faire le parallèle avec la charogne de Baudelaire. Requiem pour Moby Dick dans cette description surprenante, cette « mare aux reflets de jasmin et d'ortie, cet épanchement paresseux, promis aux plus troubles métamorphoses ». J'ai rarement lu de description aussi aboutie, aussi troublante, aussi métaphorique. Et comme pour la charogne qui nous force à voir ce que nous allons tous devenir, le spectacle de la baleine en décomposition nous donne à voir le sens de toute existence. Dans un style narratif certes autre mais dans un message philosophique très proche finalement.

La fin se veut espoir. Quelques traces d'amour pour se rassurer, telle une bouée jetée en mer, l'éternité et le néant entrelacés. Nos observateurs, différents, semblent désormais baignés dans l'haleine bleue et glaciale d'une baleine morte.

Une nouvelle inoubliable, à lire, à relire…

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