La messe matinale fut aussi ennuyeuse que d’habitude. Le père Josaphat, le vieux prêtre barbu, hirsute et bredouillant affecté à l’orphelinat par l’évêché, était un peu gâteux. Julien avait l’impression que le pauvre homme était déjà mort sans que personne n’ait eu la gentillesse de l’en avertir.
— Mais pourquoi il aurait quitté l’orphelinat sans sa jambe de bois ? demanda Bouchard. Ça n’a aucun sens. Il va même pas pisser sans la porter.
Ce fut Julien qui finit par dire ce que tout le monde avait déjà compris.
— Parce qu’il n’est pas parti en marchant.
Julien n’a jamais vu son père dans un tel état. Papa n’a jamais peur, d’habitude. Il est fort. Il est médecin, papa. Il sait tout et il comprend tout. Mais là, il a l’air d’un lièvre effrayé.
De temps à autre, un gémissement, un rire ou un cri les faisait sursauter. Çà et là, une lampe à huile émettait une lumière blafarde qui rendait le couloir lugubre. En route, ils croisèrent un grand crucifix en bois en haut du mur et, avec amertume, Julien se dit que Jésus regardait sans doute ailleurs pendant qu’on torturait des innocents. (Dans les couloirs de l’asile)
« Quand on ne voit pas la misère, elle n’existe pas. » (Trepanier, pour expliquer les hauts murs de l’orphelinat)