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Critique de Charybde2


Délicieusement vénéneux, le roman d'un tour de main qui va plus loin que prévu, en trois jours d'une année 1969 qui, malgré certaines apparences, ne se situe pas sous le soleil exactement.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/02/23/note-de-lecture-le-pickpocket-des-champs-elysees-jean-hubert-gailliot/

Après des débuts dans la revente de drogues, Skip, doué de ses mains phénoménalement habiles et de ses yeux discrètement scrutateurs, est devenu pickpocket. Pickpocket du dessus du panier, puisque ce sont les Champs-Elysées qu'il arpente chaque jour ou presque, en cette année 1969, pour y gagner sa croûte et économiser de quoi rejoindre Londres, où il rêve de retrouver son idole même hors d'atteinte, Marianne Faithfull.

Un jour, de dépit après avoir failli faire chou blanc sur un quidam se baladant quasiment sans rien sur lui, il subtilise une alliance. Lorsqu'une récompense est proposée pour le retour de ce bijou ô combien symbolique, il s'aperçoit après une rapide enquête qu'il vient de détrousser une sommité du monde des affaires, jeune loup bien élevé au potentiel encore plus élevé. Un mélange bizarre de léger désarroi et de curiosité placée (bien ou mal, on ne saura pas immédiatement) le pousse à l'investigation, et le voilà qui se met à suivre à l'occasion puis de plus en plus fréquemment, lors de ces trois journées qui composent le corps principal du roman, Katerine, l'épouse du volé, et à détricoter finement, pour lui comme pour nous, l'écheveau de relations bourgeoises et d'arrangements qui constituent le microcosme où évolue ce poisson-là. Et si l'on y ajoute le regard aiguisé d'une petite fille qui, comme la Maisie de Henry James, sait des choses tout en ne sachant rien, on obtient bien un cocktail hautement détonant, sous ses dehors d'apéritif paisible.

Même s'il confesse dans un entretien en presse quotidienne régionale avoir mis infiniment moins de temps pour écrire ce roman, qui se serait soudainement imposé de lui-même, que le précédent, le magnifique « Actions spéciales » (pour lequel il avait déjà soigneusement noyé le poisson des explications ex post par comparaison rusée et fumigènes vis-à-vis du « Soleil » qui l'avait lui-même précédé), il ne faudrait certainement pas conclure, trop vite, que ce « Pickpocket des Champs-Élysées », publié en mars 2023 à L'Olivier, est un petit roman léger. Élégant assurément, comme l'assurance des gestes presque magiques de Skip et comme sa sagacité qui ne s'en laisse pas conter, plus court certainement que ses prédécesseurs, avec ses 190 pages, et laissant poindre par plages un ton presque primesautier seyant bien à certaines promenades à pied dans les beaux quartiers parisiens. Mais tout aussi redoutable dans ses non-dits, dans ses abîmes cachés, dans ses suggestions faites comme mine de rien, au passage, que les deux romans de 2014 et de 2021. Ici aussi, la distinction n'habite pas nécessairement là où elle serait censée le faire dans quelque meilleur des mondes, la propriété et le vol se déplacent en de magnifiques contre-emplois, la violence symbolique et la violence réelle rivalisent de canaillerie, et la mise en danger n'est peut-être pas qu'une figure de style (la nature du livre dans lequel se plonge Katerine en d'anonymes cafés, révélée in fine à la fillette devenue adulte, n'est pas anodine, et il ne s'agit certainement pas juste de coquinerie). Comme une « Femme du Ve », chez Douglas Kennedy, qui aurait été brutalement dopée au « Ka Ta » de Céline Minard, comme un « Ici ou là-bas » de Jérome Baccelli qui aurait laissé entrer par inadvertance quelque talentueux Mr. Ripley de chez Patricia Highsmith ou Anthony Minghella, ce « Pickpocket des Champs-Élysées » est un roman délicieusement vénéneux, cachant des fossés abondamment garnis de pointes acérées sous sa légère couverture de macadam bien propre et bien lessivé.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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