Ils sont quatre.
Chef, d'abord, qui dirige la bande, impose ses décisions, fais ses petits calculs et signe les contrats.
Tanneur, ensuite, guerrier redoutable et compagnon violent, aussi impitoyable que retors.
Rody, enfin, l'archer émérite que personne n'égale.
Mais aurions-nous oublié notre narrateur et dernier membre de cette compagnie ?
Le Drôle.
Jeune homme d'une douzaine d'année, plus chanteur que bretteur, frère de Rody le taciturne, souffre-douleur de Tanneur le cruel.
C'est avec lui que l'on entre dans l'auberge et que l'on en ressort différent, après le premier sang, après le massacre. Une initiation comme un traumatisme, un traumatisme comme une révélation.
C'est ainsi que débute le premier roman du français
Damien Galisson chez Sarbacane. Avec des mercenaires et la mort, avec des soldats et un gamin qui lui, préfère chanter.
Comprendre l'autre
L'aventure, pourtant, ne s'arrête pas là. C'est même tout le contraire.
Après son « baptême » du feu, le drôle doit composer avec ses remords et sa culpabilité. Croisant la route des Pâles, peuple belliqueux qui contrôle cette partie du monde, notre jeune héros va surtout tomber par hasard sur une créature de légende : un dragon. Ou devrions-nous plutôt dire une dragonne.
Point de grand combat épique ou de domptage à la Game of Thrones ici mais une rencontre qui renvoie à celle du Dragons de Dreamworks, avec la même grâce et la même beauté, avec cette volonté de faire du dragon un animal sensible et amical au lieu d'une bête féroce prête à servir d'arme ultime.
Damien Galisson accompagne son héros avec tendresse et sensibilité au sein d'un monde fantasy qu'il esquisse par petites touches.
Un univers fait d'îles flottantes dans les cieux reliées par des ponts et de royaumes en guerre dont les troupes arpentent le ciel à bord d'immenses aéronefs.
Et c'est à peine si nous en saurons davantage, tant le mystère ici ne concerne pas aux conflits…mais les hommes.
Prenant à rebrousse-poil le lecteur, voilà que les guerriers de l'histoire sont relégués au second plan et que c'est le plus petit, le plus fragile et le plus touchant d'entre eux qui s'empare de la scène.
Le drôle est un personnage de toute beauté qui fouille dans les blessures de son passé et surtout dans sa relation difficile avec son grand-frère Rody, une relation faite de tellement de non-dits qu'on les dirait maudits.
Le lecteur retrouvera cette sensibilité dans la relation que tisse le drôle avec la dragonne, au-delà des écailles et des langues de feu pour entendre le coeur de l'animal battre et la vie à naître.
Damien Galisson se concentre sur l'intime et la façon dont on a d'aimer un frère, une mère, un compagnon d'arme, un cuisinier… et les faux-pas, les blessures, les joies qui en découlent.
Mais ce n'est pas tout…
La musique des mots
Car pour faire vivre cette aventure pleine d'humanité et de sensibilité, pour inviter la tristesse et la perte au coeur de l'histoire, pour renouer les liens et se comprendre alors que tout nous sépare,
Damien Galisson va utiliser à plein régime la disposition du texte.
Non seulement pour indiquer aux lecteurs ce qu'il se passe dans le récit, faisant tomber un mot sur la page quand un personnage tombe, mais aussi pour faire correspondre le fond et la forme.
Nous voici devant l'aventure d'un personnage épris de mots, de vers et de musique, qui nous parle de la même façon qu'il voudrait chanter.
L'écriture de la Dragonne et la Drôle est musique. C'est pour cela que la disposition s'avère aussi importante puisqu'elle vous donne le rythme de lecture, elle vous distille la petite chanson à avoir en tête lorsque vous suivez les tribulations du drôle.
Tout cela ne serait rien, ou peu de choses, si
Damien Galisson n'avait pas un style magnifique, aussi doux que poétique. C'est là ce qui impose le roman comme bien supérieur à d'autres du même genre, cette envie de travailler la phrase et de lui donner un souffle propre, de ne pas négliger le style sur l'autel d'une jeunesse supposée incapable de l'apprécier.
Ici, la beauté des mots contrebalance souvent la cruauté des évènements qui se déroulent sous nos yeux, contournant les séparations et les disparitions causées par la guerre.
Si
La Dragonne et le Drôle est une ode à la paix, c'est aussi une déclaration d'amour quant à la puissance des mots et des faibles, ces faibles qui préfèrent chanter plutôt que guerroyer, aimer plutôt que détester.
Par sa beauté renversante, le roman de
Damien Galisson joue contre les attentes. Prenant une troupe de mercenaires pour en suivre le membre le plus sensible, amenant une dragonne pour lui refuser la guerre et profitant des mots pour nous dire l'intime.
La Dragonne et le drôle est un merveilleux premier roman, une vraie réussite de la première à la dernière page, un régal.
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