Il n'a que 12 ans, le Drôle du titre, et sa vie n'a pas grand-chose de drôle. Il fait partie d'une toute petite troupe de mercenaires comprenant son frère Rody, qui ne décroche pas un mot mais ne rate jamais une cible avec son arc, Tanneur, une espèce de brute épaisse pour lequel le moindre faux pas est prétexte à torgnoler le gosse, et Chef, qui comme l'indique son surnom, dirige et ordonne. le drôle, qui ne se souvient même pas de son vrai nom, est là pour les corvées : s'occuper du cheval (son seul ami en ce bas monde), faire la tambouille, ramasser du bois sec pour allumer le feu du bivouac...
Ce soir-là, ils ont quelques pièces à l'issue d'un contrat, et le chef décide de payer un repas et une nuit à l'auberge, pour une fois. Mais ça tournera vinaigre, et en fait de nuit au chaud, le drôle sortira de cette auberge avec du sang sur les mains, tout ça parce qu'il a eu la mauvaise idée de chanter pour accompagner le luth d'un barde local.
Au cours de la fuite qui s'ensuit, le clan va trouver momentanément refuge sur une des multiples îles qui composent ce monde étrange, et Chef va envoyer le gamin chercher du bois sec, alors qu'il pleut comme vache qui pisse. Et c'est en en ressortant d'une grotte où il a enfin trouvé quelques branches qu'une dragonne va littéralement tomber à ses pieds ! Mais elle n'arrive pas seule, poursuivie par des guerriers Pâles qui cherchent à s'emparer d'un trésor précieux qu'elle détient.
A partir de là vont s'enchaîner les péripéties, et une relation très particulière (et très touchante) va s'établir entre l'enfant et la créature fantastique.
Ce roman jeunesse peut être qualifié d'Héroïc Fantasy, on y trouve des guerriers, un monde imaginaire, une dragonne crachant le feu, tous les ingrédients du genre. Mais on ne peut le réduire à ça, sa particularité réside dans l'écriture très originale de
Damien Galisson, membre et parolier du groupe de hardcore Tanen, pour les connaisseurs. C'est donc quelqu'un qui manie les mots et leur musicalité de façon habituelle, et on le ressent bien à la lecture du livre. Rédigé essentiellement en vers libres, un peu comme dans «
Moon brothers » de
Sarah Crossan, on y trouve aussi de nombreux passages déclinés comme une sorte de mélopée, quand le Drôle chante ou communique avec la Dragonne. Et là, les mots se font tendres et doux, contrastant avec la rudesse des échanges avec Tanneur ou Chef, parfois grossiers, souvent violents. J'ai beaucoup apprécié ces changements de registre, qui induisent comme des respirations dans la lecture. Graphiquement, le texte est également travaillé, la disposition varie selon les circonstances (par exemple la notion de chute va se matérialiser par des mots qui tombent littéralement l'un en-dessous de l'autre), et la typographie également. Les échanges entre l'enfant et la Dragonne sont retranscrits en italique, et disposés en lignes décalées, ce qui leur donne une tonalité toute particulière, on a envie de les déclamer à voix haute.
Le monde dans lequel évoluent les personnages est assez original également. Il est constitué d'îles situées à des niveaux différents, et dont certaines se déplacent selon un cycle saisonnier. Elles sont reliées par des passerelles plus ou moins solides, ou il faut emprunter des nefs maintenues en l'air par des ballons pour accéder à certaines. Pour se retrouver dans cette géographie mouvante, on utilise des cartes circulaires qu'on superpose pour faire correspondre les routes à la saison actuelle. Les champignons qui poussent dans les forêts sont parfois gigantesques, certains ont des propriétés redoutables. Et les protagonistes sont pour la plupart assez peu sympathiques, voire carrément haïssables. Exception faite du Drôle, bien sûr, qui est une belle âme, et d'un cuistot qu'on croisera dans le camp des Pâles. Et puis il y a Rody, aussi, dont le silence cache peut-être autre chose que de l'indifférence...
Un mot encore concernant la couverture, que je trouve particulièrement réussie, ainsi que les dessins illustrant les têtes de chapitres. On en dénombre quatre différents, et chacun va donner une indication sur la nature du chapitre : déplacements du clan, chapitres centrés sur les actions du Drôle, interactions avec les Pâles, et chapitres axés sur la Dragonne. Je n'y avais pas fait attention au début, puis j'ai pris la peine de mieux les regarder, et j'ai apprécié l'idée.
Je ne lis pas souvent de roman fantasy, que ce soit en jeunesse ou en adulte, mais celui-ci m'a séduit par son message positif malgré le contexte belliqueux, et par son narrateur courageux et attachant. Cette lecture s'inscrivait dans le cadre du comité de lecture « ado » dont je fais partie depuis quelques années, et grâce auquel j'ai découvert quelques pépites ! Une lecture que je recommande à partir de 13 ans environ.