À la minute même, je fus dans les souterrains, dans la cave même que j'avais visitée avec l'abbé. Ce sous-sol renfermait un trésor d'alambics, de fourneaux et de cucurbites. Des serviteurs mauresques, demi-nus et les muscles luisants, entretenaient les feux en y jetant de grandes brassées de genévrier. Dans les cuves encastrées bouillonnait une matière scintillante. Penchés sur cette flamme liquide, Florian de Leuna et le duc Eolus de Mercœur échangeaient des paroles cabalistiques. Peu initié à ce jargon, j'entendis pourtant qu'ils procédaient à une expérience consistant à transformer certains sels minéraux, certains métaux et carbones en gemmes rares : ce n'était qu'une branche annexe mais séduisante du Grand Œuvre. Le duc de Mercœur dissertait doctement de l'Aventure de la Matière Noire, devenant Substance Élue par la transformation de l'Œuf philosophique, avec le concours d'électuaires infernaux et de ces subtils éléments dans lesquels Psellus et les Rebs d'Israël ont vu des esprits appelés daimons. Le Français traça même, du bout d'un roseau, sur le magma encore liquide, la fameuse chrysopée de Cléopâtre.
Puis, serrant de plus près l'expérience en cours, il parla des gemmes fabuleuses ou maudites : il décrivit les perles agglomérées, inestimables, où les lapidaires voient une concrétion de clair de lune et de rosée ; il nomma la fameuse pierre « ématile » qu'on trouve dans les aires d'aigles, la crapaudine, chère aux sorciers et qui mûrit dans la tête du crapaud, la chélonite qui découvre l'avenir et les secrétions de la huppe qui rendent invisible. Il se pencha enfin sur le mystère de ces gemmes arrachées au noyau brûlant de notre globe : ambres et agates arborescentes, œillées et entydres qui retiennent en captivité une forme de vie, un charme, l'évocation d'un univers inconnu - et dont le Calendrier Magique vante les propriétés.
Extrait de « L'Opale entydre »