Des nuits de veille. Veiller. Ce don de soi est un don du cœur, c’est l’humble courage de l’amour qui ne s’énonce en mots ni ne se calcule en temps. Avec une infinie patience, veiller. Dans ce monde voué à l’efficacité, il n’y a plus guère que les moines, les mères et les marins qui veillent. Autant dire les contemplateurs d’infini.
C’est une loi naturelle méconnue : les enfants embellissent les femmes, ils donnent à la femme cette beauté accomplie, ce sourire fécond, et cette générosité de regard.
Ah ! La belle vie qu’on vit quand on vit avec ceux qu’on aime et la conscience de ce qu’on aime ! Cela, vous le savez sans rien avoir appris, dès les premiers jours de votre vie, au fil des tout premiers regards, sous le chaud rayon des premiers sourires. Peu après que votre mère vous ait donné la vie.
"AIMER" soupire éternellement le grand souffle de l'Esprit quand il a dispersé chacune des lettres de son prénom: "MARIE".
Comment une toute petite femme peut-elle contenir un si grand amour, être à ce point immense et royale et vénérable ?
Depuis deux mille ans, peintres et sculpteurs cherchent à capter les reflets de cette douceur maternelle presque surnaturelle. Les plus grands compositeurs ont célébré en musique ce déchirant Stabat Mater, mère toujours debout, debout comme l'est la dignité de ceux qu'on a persécutés au mépris de la vérité et de la justice, et qui n'ont plus que cette dignité pour se tenir droit. Ce n'est pas assez dire qu'elle a donné la vie: elle a donné vie au monde.
On ne sait trop comment la nommer. Elle est tout à la fois celle qui donne la vie et qui élève, celle qui console, protège et guérit, celle qui veille, qui ne cesse de veiller. On dirait que c'est là son destin: veiller éternellement, depuis toujours et d'âge en âge, jusqu'à l'aube des temps nouveaux. À travers son fils, c'est sur l'humanité entière qu'elle veille.
Elle est le premier visage du monde. Celui que l’on découvre en arrivant au monde. La tendresse y coule à flot comme une source de lumière dont la prodigalité jaillit derrière le rideau des cils. Quand le visage s’approche, on reçoit l’ensoleillement du regard tout rayonnant d’une joie secrètement butinée dans la grande ruche de l’invisible et qui est comme un nectar de vie. Dans ce regard qui s’ouvre telle une clarté d’aurore, la femme se fait haute mère, déesse des larges horizons, de l’amour de la vie, et d’une espérance grande, pure et bien droite comme le silence. Elle est le premier “je t’aime” murmuré à notre oreille, ce serment de l’âme qui est aussi serrement du cœur, tant s’y résume de manière radicale l’universel élan de la condition humaine : aimer et être
aimé. Toute notre vie est contenue dans cette quête éperdue aux élans parfois perdus. Mais pour une mère, tout est miel. Rien n’est perdu. Et c’est pourquoi jamais elle ne se lasse de répéter ce “je t’aime” à la chair de sa chair, d’abord de la bouche à l’oreille, puis au fil du regard, puis d’âme à âme. La vie, dans son tout début ? Peut-être une manière de remplir le vide, de sculpter le silence, l’art de donner forme à ce qui, sans nous, serait resté dans l’informulé, la matière inanimée, le néant...
Qui sait ?
Dieu seul sait !
Et les mères veilleuses, qui ont le pouvoir de donner la vie, partagent naturellement ce secret.