La critique de la vie normale occidentale à basse intensité existentielle est courante, de Rimbaud au surréalisme, de Thoreau au mouvement hippie,d’Ivan Illich à L’Insurrection qui vient. Régulièrement, on explique même l’apparition de comportements violents et « déviants », que ce soient l’amok ou le terrorisme, par un mystérieux défaut d’âme dans la société consumériste, incapable de procurer à sa jeunesse une intensité de vie suffisamment stimulante.
Penser, ainsi que nous avons tâché de le faire ici, ne devrait pas consister à imposer des conclusions théoriques à nos vies.
Peut-être qu’il a fini par s’assembler en chacun de nous une sorte d’instrument de mesure d’abord rudimentaire puis raffiné de notre intensité de vie,dont la variation entre dans nos calculs d’intérêts ; nous sommes raisonnables, à condition d’abord d’éprouver régulièrement, et plus ou moins sur commande, une intensité suffisante pour nous sentir vivants.
En toute chose, le seul vrai péché est d’avoir manqué d’intensité.
Être éthique consiste à tenir bon, à opposer au flux continu de la vie une sorte d'immobilité, qui s'exprime dans les mots et les idées, dans les identités que nous arrachons à nos sensations toujours différentes. Ainsi, chacun peut-il espérer se sentir vivre , en éprouvant concrètement contre la part pensante de lui-même l'intensité du flot de ses perceptions, de son désir changeant et de son électricité intérieure.
Si on entreprend une rapide généalogie de l'intensité en tant que principe de la vie moderne, on trouve que cet idéal qui oriente notre existence est l'enfant d'une idée extrêmement abstraite et d'une image absolument concrète, qui ont fondu l'une en l'autre, afin de donner à une vieille question théorique l'aspect vif, étincelant de l'intensité électrique, et d'animer la réalité de l'électricité d'une qualité métaphysique occulte.
Et l’homme volerait une seconde fois le feu aux dieux : cette fois-ci, ce serait le fluide électrique.
L’exigence d’intensification de la vie provoque un découragement dont les effets psychologiques et sociaux sont bien documentés.
La vie rend intense, la pensée rend égal
... on ne se sent vraiment vivre qu'à l'épreuve d'une pensée qui résiste à la vie, et on ne se sent vraiment penser qu'à l'épreuve d'une vie qui résiste à la pensée.