Penser, ainsi que nous avons tâché de le faire ici, ne devrait pas consister à imposer des conclusions théoriques à nos vies.
... on ne se sent vraiment vivre qu'à l'épreuve d'une pensée qui résiste à la vie, et on ne se sent vraiment penser qu'à l'épreuve d'une vie qui résiste à la pensée.
... l'électronique n'est peut-être rien d'autre qu'une désintensification de l'électricité.
... la modernité, c'était la tentative pour présenter à l'humanité un but éthique autre que la sagesse - et même, à bien des égards, contraire à la sagesse. La vie moderne, cette anti-sagesse espérait l'augmentation sans fin de l'intensité en toutes choses, alors que les sagesses figuraient traditionnellement le but d'une vie à travers son annulation.
Chaque fois qu'elle change de manière inopinée, pour échapper à la prévisibilité, la musique improvisée accomplit donc un acte éthique. Elle réalise dans l'ordre de l'harmonie et du rythme l'analogue des décisions de notre homme intense qui cherche à varier toujours, à se réinventer, à ne jamais accomplir un destin écrit par avance.
... tout le drame de l'homme intense tient à cette constatation banale ; ce qui soutient une intensité - al pensée mêlée à la sensation - est aussi ce qui finit par l'annuler.
A l'origine, le terme de burn-out désignait l'état d'un toxicomane "vaincu par l'usage trop intensif de drogues dures", rappelle Pascal Chabot. Le psychothérapeute Herbert Freudenberger a appliqué ce terme à son propre état de fatigue, et le mot a fini par exprimer l'épuisement émotionnel et le sentiment d'inefficacité de travailleurs incapables de tenir le rythme de leur travail. Pascal Chabot explique que les performances demandées aux individus n'ont pas de fin et que, pour cette raison, elles empêchent de se représenter un horizon de réalisation de soi.
Parmi les mille définitions possibles de la modernité, retenons donc celle-ci, qu'on peut juger la plus simple et la plus concrète : la modernité, c'est la domestication du courant électrique.
Être éthique consiste à tenir bon, à opposer au flux continu de la vie une sorte d'immobilité, qui s'exprime dans les mots et les idées, dans les identités que nous arrachons à nos sensations toujours différentes. Ainsi, chacun peut-il espérer se sentir vivre , en éprouvant concrètement contre la part pensante de lui-même l'intensité du flot de ses perceptions, de son désir changeant et de son électricité intérieure.
Voilà l'idéal de la pensée. Elle ne contraint pas la vie, elle ne lui impose pas son gouvernement, mais tâche de lui présenter des idées distinctes et égales, afin de vivre en toute connaissance de cause.