c'est à peine si le colonel Aureliano Buendia comprit que le secret d'une bonne vieillesse n'était rien d'autre que la conclusion d'un pacte honorable avec la solitude.
Les efforts qu'il déployait pour systématiser les présages étaient inutiles. Ils se présentaient d'un seul coup, en un éclair de lucidité surnaturelle, comme autant de moments de certitude absolue et éphémère, mais insaisissable.
Sans vaine sentimentalité, il pensait à tous les gens qu'il avait connus, dans une sorte de sévère règlement de comptes avec la vie, et commençait à comprendre combien il aimait en fait les êtres qu'il avait le plus haïs.
Certains soirs de pluie, on le vit rôder autour de la maison, muni d’un parapluie de soie, essayant de surprendre un peu de lumière dans la chambre d’Amaranta.
Le premier de la lignée est lié à un arbre et les fourmis sont en train de se repaître du dernier.
Ce fatalisme encyclopédique fut à l'origine d'une grande amitié.
Quand Fernanda prit conscience qu'elle était une veuve dont le mari n'était pas encore mort, il était déjà trop tard pour revenir à l'ancien état des choses.
Dès cette époque, le curé manifestait les premiers symptômes de ce délire sénile qui l'amena, des années plus tard, à dire que le diable était probablement sorti victorieux de sa rébellion contre Dieu, et que c'était lui qui se trouvait assis sur le trône céleste, mais sans révéler sa véritable identité pour attraper les innocents.
Il était allé chez les morts, en effet, mais s'en était retourné parce qu'il ne pouvait supporter la solitude. Banni de sa tribu, dépouillé de tout pouvoir surnaturel en châtiment de sa fidélité à la vie, il résolut de se réfugier dans ce coin perdu de la terre que la mort n'avait pas encore découvert, pour se consacrer à la mise en place et au fonctionnement d'un laboratoire de daguerréotypie.
Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace.