Je reçois tous les jours des lettres de partout. Des missives d'inconnus. De Peireira m'est parvenu un long poème, avec des tableaux et des mouettes, signé des trois initiales J.V.C. Mary Address, qui avait fait dire une messe pour le repos de mon âme quand je flottais à la dérive dans la mer des Antilles, m'écrit souvent. Elle m'a envoyé ne photo dédicacée que les lecteurs connaissent bien.
J'ai raconté mon aventure à la télé et dans une série d'émissions à la radio. Je l'ai racontée aussi à mes amis. Je l'ai répétée à une veuve, une vieille dame qui possède un énorme alb um de photos et qui m'avait invité chez elle. Quelques personnes me disent que cette histoire est une invention fantastique sortie tout droit de mon imagination. A celles-là, je pose la question : "Mais alors, que croyez-vous que j'ai fait durant mes dix jours en mer ? "
Cela se produit quand on ne sent plus la faim , ni la soif ,quand on ne sent même plus les morsures implacables du soleil sur la peau couverte de cloques .On ne pense à rien .On n'éprouve plus le moindre sentiment. Mais on n'a pas perdu définitivement l'espoir .Alors il reste l'ultime ressource de dénouer les cordes du caillebotis et de se ficeler au radeau.
Mon héroïsme a consisté à ne pas me laisser mourir.
L'idée qu'au lieu de me rapprocher de la côte je m'étais éloigné en mer durant sept jours ruina ma volonté de poursuivre la lutte. Pourtant, l'homme qui se sent au bord de la mort voit se raffermir son instinct de conservation.
Je trouvais toujours une raison de survivre, un motif, même insignifiant, auquel me raccrocher pour continuer d'attendre et d'espérer.