Ne sous estimez pas la force du silence
Aucun chef d’État n’est respecté comme un chef d’orchestre.
Nous sommes arrivés juste à temps pour participer à l’émission « Top Cinq ». Pendant une demi-heure, un meneur de jeu grassouillet n’a cessé de glousser à ses plaisanteries prévisibles, déclenchant les rires sur commande d’un public immature. Des chroniqueurs à la recherche laborieuse d’un trait d’esprit tentaient de suggérer la camaraderie d’une bande de copains. J’y fus applaudi en réponse aux gestes d’un chauffeur de salle. J’entendais du mépris dans ce tutoiement généralisé, de la morgue dans cette familiarité. Je servais de caution sérieuse et consensuelle, entre deux bouffonneries, parmi les flashes de photographes.
Face à un obstacle urticant, malodorant ou bruyant, j’ai toujours pratiqué avec élégance l’art de l’évitement. L’esquive et une confortable capacité à oublier m’ont jusqu’à présent épargné les ulcères d’estomac, les bagarres d’ivrognes et les rancunes tenaces. Les saints pardonnent, moi je passe mon chemin.
J'avais traversé cette période comme un somnambule, comme un innocent, sans comprendre ce qui m'arrivait, tombant dans tous les pièges et ne parant aucune attaque. Maintenant que je demeurais solitaire parmi les décombres, je me demandais non pas ce que me réservait la période suivante, mais seulement s'il y en aurait une. Une très longue dépression : voilà ce dont je pouvais rêver de mieux.
Tout concert est un duel. La musique n’est pas apaisement, mais intranquillité.
Aucun chef d’État n𠆞st respecté comme un chef d’orchestre.
Elle et moi partîmes ensuite vers les sièges de différentes chaînes, pour des séquences identiques : embrassades insincères, camaraderie de façade, tutoiement de rigueur, arrivée de l’animateur entouré de sa cour, brève discussion filmée – debout, assis, en marchant devant un décor peint ou sur le trottoir, en studio devant un public applaudissant sur ordre –, remerciements, nouvelles embrassades. De tout cela ne resterait pour chaque émission au mieux que deux minutes d’antenne, où les mêmes questions provoquaient les mêmes réponses.
Dans un entretien publié dix ans plus tôt, il expliquait qu’un artiste n𠆚vait de légitimité et de vérité que dans son art, et que ses opinions sur la marche du monde n𠆚vaient aucun intérêt – moins, précisait-il, que celles d’un chauffeur de taxi.
Ce salut de malédiction, que je croyais enfoui pour toujours dans les livres d’histoire, venait nous gifler avec une brutalité indicible.