Citations sur Derniers adieux (92)
La procédure était relativement simple, mais le travail intense. Pour commencer, des dizaines de techniciens de scène de crime procédaient aux constatations, plaçant un signal sur chaque indice avant de le classer (débris d’avion, reste humain, effet personnel). Puis celui qui avait été désigné « jalonneur » installait un prisme réflecteur sur chaque indice étiqueté. Enfin l’« opérateur » visait le prisme et appuyait sur le bouton pour entrer l’indice dans la base de données du logiciel jusqu’à des distances de cinq kilomètres, tandis que le « préparateur/greffier » supervisait les opérations en inventoriant et numérotant chaque objet entré dans le fichier.
Le premier geste du coordinateur des équipes du FBI, Rachel Childs, avait été de définir un périmètre. Règle numéro 1 en matière d’explosions et d’accidents d’avion : le périmètre est établi à cent cinquante pour cent de la distance entre l’épicentre de l’explosion et l’indice le plus éloigné. Autrement dit, si l’indice le plus éloigné se trouve à cent mètres de l’explosion, le périmètre est à cent cinquante mètres. Or, dans le cas présent, le périmètre s’étendait sur quatre kilomètres de long et huit cents mètres de large. Pas franchement une scène de crime classique du type : silhouette tracée à la craie sur le plancher de la bibliothèque, là où le majordome a tué un homme avec un chandelier.
Après tout, le FBI d’aujourd’hui se voulait une administration éclairée. Tout pour l’équité, la justice et l’égalité des sexes. Comme les agents se plaisaient à le dire pour la charrier, ce n’était plus le FBI de papa.
À l’aube de sa quatrième année au sein du bureau du FBI à Atlanta, alors qu’elle avait enfin été affectée au service de police judiciaire et nommée à la tête d’une des trois équipes de relevé d’indices que comptait la ville, sa carrière était sur de bons rails – du moins jusqu’à ces cinq derniers mois. Quoique ce n’était pas non plus tout à fait exact. Hormis le fait qu’elle ne participait plus aux exercices de tir, rien n’avait changé.
Avec son mètre soixante-dix et sa constitution svelte et athlétique, Kimberly était connue pour sa résistance à la fatigue, sa maîtrise des armes à feu et sa profonde aversion pour les contacts physiques. Si elle ne faisait pas partie de ces collègues qui provoquent le coup de foudre, elle inspirait assurément le respect.
L’agent spécial du FBI Kimberly Quincy avait tout pour elle : belle, intelligente et de noble extraction, puisqu’elle était la fille d’un légendaire ancien profileur du FBI dont le nom était associé à ceux des Douglas et autres Ressler dans les amphithéâtres de l’Académie. Elle avait des cheveux blond cendré mi-longs, des yeux bleu vif et des traits fins et aristocratiques – héritage de sa mère décédée, laquelle était à l’origine de la deuxième série de rumeurs qui devaient suivre Kimberly jusqu’à la fin de sa carrière.
La terreur ne dure pas indéfiniment. C’est impossible. Ça demande trop d’énergie de l’entretenir. Et, à vrai dire, la terreur naît de la rencontre avec l’inconnu. Mais quand c’est arrivé un nombre suffisant de fois, quand tu as été systématiquement violenté, battu, soumis, ce n’est plus l’inconnu, n’est-ce pas ? Le même geste dont la perversité t’a un jour choqué, blessé, humilié, devient la norme. Voilà ce que sont désormais tes journées. Voilà la vie que tu mènes. Voilà ce que tu es devenu.
Un spécimen de la collection.
VOILÀ LES CHOSES que personne ne te dira, qu’il faut avoir vécues soi-même pour les connaître :
Ça ne fait mal que les toutes premières fois. Tu cries. Tu cries, encore et encore, jusqu’à en avoir la gorge à vif, les yeux bouffis, un drôle de goût au fond de la bouche, une substance comme un mélange de bile, de vomi et de larmes. Tu appelles ta mère. Tu implores Dieu. Tu ne comprends pas ce qui se passe. Tu ne peux pas croire que ça arrive.
Et pourtant si.
Alors, peu à peu, tu te tais.
Certaines filles sont intelligentes. D’autres rapides. D’autres fortes. Ginny, la pauvre Ginny Jones, avait déjà appris quatre ans auparavant, quand le petit ami de sa mère avait pour la première fois fait irruption dans sa chambre, qu’elle n’avait qu’un seul moyen de se sauver.
« D’accord, dit-elle vivement. Ne tournons pas autour du pot : pourquoi vous ne me dites pas exactement ce que vous voulez que je fasse et je commencerai à me déshabiller. »
Dans la poche de sa veste en jean, les doigts de Ginny se refermèrent sur la chevalière de Tommy. Car il lui avait suffi d’un regard sur ce que l’homme avait fait pour comprendre plusieurs choses en même temps : que sa mère n’aurait plus à s’inquiéter du couvre-feu ; et que le jeune et libidineux Tommy n’aurait jamais à avoir honte devant ses amis.
Parce que jamais au grand jamais cet homme ne la laisserait rentrer chez elle.