Citations sur Le grand vestiaire (35)
Où étaient-ils donc, ces fameux hommes, dont mon père m’avait parlé, dont tout le monde parlait tant ?
Il y a des gens, jeune homme, qui tombent tellement amoureux de la vie qu’ils préfèrent mourir plutôt que de renoncer à vivre.
Léonce m’avait procuré de faux papiers au nom d’Étienne Roger, employé de commerce, vingt et un ans ; ils étaient admirablement imités par un vieux marchand de timbres-poste qui s’était spécialisé dans ce travail pendant l’occupation, qui avait sauvé ainsi la vie à des centaines d’hommes, et qui ne pouvait s’empêcher à présent de continuer. Il pouvait imiter à la perfection n’importe quel document, depuis les cartes d’alimentation jusqu’aux actes de décès. Il arrivait ainsi à ce miracle : fausser un monde déjà complètement faux, comme disait Vanderputte, « c’était, au fond, un homme qui avait une grande soif d’authenticité… ».
C’est dur à repérer, un homme, lorsque ça se planque bien. On peut vivre très vieux et jouir de tout, naturellement, en cachette. La vie, jeune homme, apprenez-le dès maintenant, c’est uniquement une question de camouflage.
Il faut d’abord beaucoup d’amour donné pour faire un traître, beaucoup de mains tendues, pour faire une trahison…
" Au fond, vous savez, nous ne sommes pas si loin mes uns des autres. Nous sommes tous frères, hein... Et si on commence à creuser les différences, on reste seul dans la vie et ce n'est pas drôle." P.183
L'angoisse déformait les contours des choses, exagérait les estes, ne laissant passer que certains détails sans importance et leur donnant ainsi, dans ma mémoire, une importance démesurée.
- Ça s'appelle Kilimandjaro. C'est en Afrique
- Ça ne peut pas être en Afrique, voyons, il y a de la neige.
- Il y a partout de la neige en montagne. On appelle ça des neiges éternelles. Même en Afrique, il y en a …. Si j'étais millionnaire, j'irai vivre dans les neiges éternelles, avec ma femme. On doit respirer.
De nouveau, il frappa du poing dans le creux de sa main.
- Nom de Dieu, ce serait formidable. Il faudrait naturellement que la femme m'aime bien, qu'elle soit fidèle.
- Dans les neiges éternelles, tu ne risques rien.
Il ne m'écoutait pas, il regardait la montagne.
- On ne peut dire que je sois vraiment un traître. Je n'ai pas donné de Français, vous savez. Je n'ai donné que des juifs...
Le fripier, un M. Jourdain, était un bonhomme âgé ; il portait sa belle tête de penseur barbu, une calotte de velours noir extrêmement sale ; il était l’éditeur, le rédacteur en chef et l’unique collaborateur d’une publication anarchiste violemment anticléricale, Le Jugement dernier, qu’il distribuait gratuitement tous les dimanches à la sortie des églises et qu’il envoyait régulièrement, depuis trente-cinq ans, au curé de Notre-Dame, avec lequel il était devenu ami.