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Citations sur Oviri : Écrits d'un sauvage (7)

Dans ma chambre jaune, une petite nature morte ; violette, celle-là. Deux souliers énormes, usés, déformés. Les souliers de Vincent. Ceux qu'il prit, un beau matin, neufs alors, pour faire son voyage à pied, de Hollande en Belgique. Le jeune prêtre (il venait de terminer ses études théologiques pour être comme son père, pasteur) le jeune prêtre s'en allait voir, dans les mines, ceux qu'il appelait ses frères. Tels il les avait vus dans la Bible, opprimés, simples travailleurs, pour le luxe des grands. Contrairement aux enseignements de ses professeurs, sages hollandais, Vincent avait cru à un Jésus aimant les pauvres, et son âme, toute pénétrée de charité, voulait, et la parole consolante, et le sacrifice : pour les faibles, combattre les grands. Décidément, décidément, Vincent déjà était fou. Son enseignement de la Bible dans les mines fut, je crois, profitable aux mineurs d'en bas, désagréable aux autorités d'en haut, de dessus la terre. Il fut vite rappelé, révoqué, et le conseil de famille réuni votait la folie, la réclusion de santé. Il ne fut pas cependant enfermé, grâce à son frère Théo. Dans la mine sombre, noire, un jour, le jaune de chrome inonda, lueur terrible de feu grisou, dynamite du riche, qui ne manque pas, celle-là. Des êtres qui rampaient en ce moment, grouillaient salement dans le charbon, dirent ce jour-là adieu à la vie, adieu aux hommes, sans blasphème. Un d'eux, terriblement mutilé, brûlé au visage, fut recueilli par Vincent. « Et cependant, disait le médecin de la Compagnie, c'est un homme foutu, à moins d'un miracle, ou de soins maternels très dispendieux. Non, c'était folie de s'en occuper. » Vincent croyait aux miracles, à la maternité. Le fou (décidément il était fou) veilla quarante jours au chevet du moribond ; il empêchait impitoyablement l'air de pénétrer sur ses blessures et paya les médicaments. Prêtre consolateur (décidément il était fou) il parla. L'œuvre folle fit revivre un mort, un chrétien. Quand le blessé, sauvé enfin, redescendit dans la mine reprendre son travail, vous auriez pu voir, disait Vincent, la tête de Jésus martyr, portant sur son front l'auréole, les zigzags de la Couronne d'épines, cicatrices rouges sur le jaune terreux du front d'un mineur.
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Afin que tu comprennes et puisses faire comme on dit (le malin), je vais te donner l'explication du plus raide et du reste, celui de mes tableaux que je tiens à garder ou vendre cher : le Manao Tupapau. Je fis un nu de jeune fille. Dans cette position, un rien, et elle est indécente. Cependant je la veux ainsi, les lignes et le mouvement m'intéressent. Alors je lui donne dans la tête un peu d'effroi. Cet effroi il faut le prétexter sinon l'expliquer et cela dans le caractère de la personne, une Maorie. Ce peuple a de tradition une très grande peur de l'esprit des morts. Une jeune fille de chez nous aurait peur d'être surprise dans cette position. (La femme ici point). Il me faut expliquer cet effroi avec le moins possible de moyens littéraires comme autrefois on le faisait. Alors je fais ceci. Harmonie générale, sombre, triste, effrayante sonnant dans l’œil comme un glas funèbre. (...).Il y a quelques fleurs dans le fond, mais elles ne doivent pas être réelles, étant imaginatives. Je les fais ressemblant à des étincelles. Pour le Canaque les phosphorescences de la nuit sont de l'esprit des morts et ils y croient et ils en ont peur. Enfin, pour terminer, je fais le revenant tout simplement une petite bonne femme; parce que la jeune fille, ne connaissant pas les théâtres de spirites français, ne peut faire autrement que de voir lié à l'esprit du mort le mort lui-même, c'est à dire une personne comme elle.
(Lettre à Mette, 8 décembre 1892, Tahiti)
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Je suis à terre aujourd'hui, vaincu par la misère et surtout la maladie d'une vieillesse tout à fait prématurée. Aurais-je quelque répis pour terminer mon oeuvre ? Je n'ose l'espèrer : en tout cas je fais un dernier effort en allant le mois prochain m'installler à Fatu-iva, île des Marquises presque encore antropophage. Je crois que là, cet élément tout à fait sauvage, cette solitude complète me donnera avant de mourir un dernier feu d'enthousiasme qui rajeunira mon imagination et fera la conclusion de mon talent.
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La lecture me met en communion avec les autres sans être mêlé à la foule dont j'ai toujours peur. C'est un des ornements de ma solitude.
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Ce silence la nuit à Tahiti est encore plus étrange que le reste. Il n'existe que là, sans un cri d'oiseau pour troubler le repos. Par-ci, par-là, une grande feuille sèche qui tombe mais qui ne donne pas l'idée du bruit. C'est plutôt comme un frôlement d'esprit.
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Depuis que j'ai connu la vie simple d'Océanie, je ne songe qu'à me retirer loin des hommes, par conséquent loin de la gloire : aussitôt que possible j'irai enfouir mon talent chez les sauvages et on n'entendra plus parler de moi. Pour beaucoup ce sera un crime. Que m'importe ! Le crime est souvent bien près de la vertu. Vivre simplement, sans vanité. Et cela je le ferai coûte que coûte, ma raison et mon tempérament le commandent.

Paul Gauguin, Oviri. Écrits d'un sauvage, Gallimard, 1974.
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A lire pour mieux connaître l´artiste, la personne.
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