Citations sur Petite soeur la mort (12)
Vern n'aimait pas Binder. En fait, il détestait sans doute autant Binder que Binder le détestait. Vern n'accordait aucune confiance aux gens qui n'avaient pas d'emploi ou qui n'étaient pas riches; selon lui, si vous n'étiez pas à la tête d'une fortune indécente, c'est que vous deviez pointer quelque part tous les matins. Il n'avait jamais vraiment compris en quoi consistait le travail de Binder. L'idée qu'un adulte passe son temps à inventer des histoires et à les écrire dans un cahier le stupéfiait, et celle qu'il puisse exister à New York des gens qui payaient Binder pour le faire dépassait tout simplement son entendement.
Il se demanda à quel moment sa peur s'était muée en jubilation, et il se rappela Charlie Cagle assis sur le banc du parc, lui disant : Vous, ces choses-là, vous les laissez entrer. En quelque sorte, c'était bien ce qu'il venait de faire. Et l'idée de sa propre complicité dans cette histoire lui paraissait bien plus effrayante que la chanson ne l'avait été.
[p162]
Chaque question est à choix multiple, et la vérité dépend de vos critères de référence.
Par la suite, il s’en souviendrait comme la dernière frontière de la normalité, l’ultime halte avant le voyage vers des provinces plus obscures.
Je ne sais pas s'il y a quoi que ce soit de vrai dans tout ça. Et comme près de deux cents ans ont passé depuis les premières prétendues apparitions, je suppose que personne ne le saura jamais. Mais ce dont je suis sûre, c'est que le monde est un lieu étrange et merveilleux ; où que vous choisissiez de porter le regard, il y a des mystères.
[p270]
La maison était éveillée, il sentait battre son coeur autour de lui au même rythme que le sien, il la sentait respirer quand il respirait , il sentait qu'elle portait toute son attention sur lui, vigilante et concentrée comme celle d'un chat qui observe un oiseau aux ailes brisées
L’hiver courait dans ses veines, ses entrailles charriaient à présent des glaçons teintés de sang, et il comprenait qu’il avait franchi la frontière d’une étrange province du cœur, qu’il avait quitté Corrie plus sûrement qu’il n’avait jamais redouté de la voir partir. Il ne pouvait plus trouver le chemin qui lui aurait permis de retourner en arrière, mais le pire était de savoir que, de toute façon, il ne l’aurait pas rejointe, même si cela avait été possible. (p. 248.)
Il se tourna vers Corrie pour regarder son visage. Il était flou et irréel dans son sommeil, avec ses cils sombres et énigmatiques. Il pensa à ses yeux. Les fenêtres de l’âme, disait le poète, mais Binder savait qu’il y avait toujours des petits greniers remplis de bric-à-brac, des caves humides et obscures grouillant de vermine. Des réduits dépourvus de fenêtres où le soleil n’entrait jamais. (p. 244.)
L’obscurité noyait d’abord le vallon où se trouvaient les ruines de la maison de maître, et il lui semblait qu’en fait elle y demeurait tapie en permanence, n’en sortant lentement qu’à partir du moment où les ombres s’allongeaient, comme l’encre imbibe un buvard. (p. 195.)
Il ne dit pas un mot. Le silence était bien trop profond. On n’entendait que le vent glacial, au loin, et, au-dessus des champs dénudés de l’hiver, les gémissements des arbres saisis par le gel. (p. 183.)