Citations sur L'oubliée (21)
Je suis arrivé ici poussé par l’instinct plus que par une volonté consciente. Si je m’étais interrogé alors, j’aurais trouvé peu de raisons de désirer vivre. Je n’en ai pas davantage aujourd’hui, je suis seul au monde, amnésique, menacé des plus désagréables découvertes et pourtant, je veux vivre. Je le veux… passionnément.
Obsédé par ce qu’il ignorait de son passé, il perdait patience devant la longueur de l’enquête entreprise à la demande de Lambert. Il s’irritait tout autant de la lenteur de sa convalescence, trouvant Lambert trop pusillanime, lui reprochant de le condamner, sans nécessité, à rester au lit.
« Mon passé : c’est ce que j’oublie.
La seule chose qui me lie,
C’est ma main dans mon autre main.
Mon souvenir – Rien – C’est ma trace
Mon présent, c’est tout ce qui passe
Mon avenir – Demain… demain. »
Tristan Corbière.
Par pitié, elle avait fait taire sa rancune, par pitié, elle était parvenue à pardonner, par pitié encore, elle avait voulu donner à Frédéric l’illusion de l’amitié, mais peu à peu, la sympathie remplaçait la pitié. Elle était touchée de voir les yeux tristes s’éclairer à sa vue et de sentir le prix qu’il attachait à ses moindres paroles. Il lui semblait que, depuis leur rupture, un ouragan était passé, emportant les vieux griefs et laissant sur la rive un malheureux qu’elle seule avait le pouvoir de secourir.
Qu’un malade s’éprenne de son infirmière, quoi de plus classique ? Darcis voyait Anne avec les yeux d’un étranger. Comment n’aurait-il pas été attiré par sa beauté ? Séduit par la sérénité qui émanait d’elle ? N’était-ce pas de sérénité qu’il avait soif par-dessus tout ?
Chaque mot, chaque geste l’atteignaient au fond de l’âme et c’était un peu effrayant cette puissance de faire souffrir ou de rassurer d’une simple intonation de voix. Quelle impardonnable cruauté ce serait de lui laisser deviner une rancune dont les mobiles lui échappaient, alors qu’il avait besoin d’être rassuré sur lui-même.
Cette vie qu’on lui présentait comme sienne lui restait aussi étrangère qu’un récit lu dans un livre. Sans succès, il essayait de revoir le visage de ses parents, celui de ses amis. Il n’arrivait pas à croire qu’il avait été l’adolescent turbulent, le jeune homme aventureux évoqué par Lambert.
Parce qu’il lui paraissait beaucoup plus calme, Lambert, qui trouvait la guérison trop lente, voulut reprendre le traitement de piqûres fâcheusement interrompu.
J’avoue que j’ai souvent regretté de vivre une époque où les occasions sont rares d’agir spontanément. Nous sommes au siècle des bureaucrates, tout est compartimenté, même le droit de donner. Pour une fois que je peux m’offrir le luxe de quitter les sentiers battus de la charité !
Il avait un sourire malicieux qui exprimait son scepticisme tolérant. Assez lucide pour avoir conscience des mobiles qui déterminaient ses semblables, il les comprenait trop pour les juger. Sa manière caustique d’exprimer sa pensée lui avait valu des inimitiés et, par moment, il était difficile de déceler s’il était sérieux ou s’il plaisantait.
Le travail l’avait aidée à guérir. Le travail et un ressentiment qui tuait en elle tout amour. Une autre tentation la guettait. Sa désillusion avait fait lever en elle des ferments de haine. Elle se surprenait à désirer une revanche. Certes, elle eût été incapable, en admettant que l’occasion se fût offerte, de se venger, mais elle souhaitait que la vie s’en chargeât pour elle.