Le marquis des îles d'or

Ma mère était une femme admirable. Elle avait beaucoup souffert et n'avait plus que moi au monde, pourtant elle n'aurait pas admis que je renonce à ma vocation pour rester près d'elle. C'est elle qui, à seize ans, m'a envoyé trouver Surcouf. Elle pensait que la guerre de course convenait mieux à mon tempérament que le service régulier. Elle était royaliste. Elle n'a jamais changé, mais elle comprenait ce que l'Empereur pouvait représenter pour un garçon de mon âge. Elle ne se plaignait pas de la divergence de nos fidélités. Elle avait toutes les indulgences et tous les courages, même celui de sourire, le cœur en deuil, pour ne pas attrister mon enfance, bien qu'elle ne se soit jamais consolée de la mort de mon père. C'était une grande dame.

Vous avez raison, c'est une prison, mais une prison dorée, plus douce que la liberté. Ma mère me racontait souvent la légende de Merlin l'Enchanteur enfermé dans une prison d'air par la belle Viviane. Il ne pouvait voir personne au monde, pas même les compagnons de ses aventures passées, pourtant il était heureux. Peut-être suis-je comme Merlin. Si j'étais obligée de terminer ma vie ainsi, je ne regretterais rien.

C'est ma mère qui m'a appris à lire et à écrire, c'est à elle que je dois tout ce que je sais. Mais elle m'a enseigné quelque chose de bien plus important. Grâce à elle, j'ai vu ce qu'est un grand amour : l'union indissoluble de deux êtres que rien, pas même la mort, ne peut briser. Rien ne peut séparer deux êtres qui s'aiment vraiment.

Si, pour la jeune femme et pour l'enfant, elle était toujours « Nane », elle appelait l'une « ma mie » et l'autre « mon petit », puis, quand il eut douze ans, d'un surnom qui traduisait son adoration, « mon petit Marquis ». Malgré leurs prières, elle n'avait jamais accepté de les tutoyer et le village imitait son exemple.

L'amour véritable est trop rare pour qu'on le repousse. J'ai vingt-six ans, j'ai mené une vie d'aventures, mais avant de vous connaître je n'avais jamais aimé et n'aimerai jamais plus. Même maintenant, alors que vous vous moquez de mon amour, je donnerais tout ce que je possède au monde pour assurer votre bonheur.