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Citations sur Ceux de 14, tome 4 : Les Eparges (12)

Couché sur une civière, dans le réduit encombré d’outils et de planches, Sicot a gardé les yeux ouverts.
A la lueur d’une chandelle qui est là, sa face exsangue semblerait morte, n’était ses yeux toujours vivants. Il me voit, me reconnaît, et sans rien dire, pendant que je regarde, il pleure à grosses larmes lentes d’être sûr qu’il va mourir.
« A revoir, Sicot… tu seras ce soir à l’hôpital de Verdun… On y est bien… Il y a des toubibs épatants… »
Les larmes roulent, de ses yeux déjà éteints.
Sous la montée brillante des larmes, ses prunelles ne vivent plus que d’une dernière clarté : la certitude et la tristesse de mourir.
Il fallait bien sortir de cette petite casemate, ne plus voir ce corps étendu, cette force jeune, cette simple bonté, tout cela qui était Sicot, et qui mourait lentement, depuis le claquement grêle d’une balle au bord de l’entonnoir 7.
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Quelque chose de lourd a cogné dans mes jambes, et j’ai fléchi, les jarrets coupés nets.
« Par-dessus ! En avant ! »
C’est la tête de Grondin qui a cogné dans mes jambes.
Je me suis retourné ; sans horreur ; et j’ai vu le corps écrasé, enseveli déjà sous l’immense piétinement, avec encore à ras de terre, la plaie glougloutante du cou.
Nous marchons toujours, soulevés par l’air qui tressaute, bousculés par les parois dansantes du boyau, souffletés de boue, de gravats, de flots d’air rougeâtre et brûlants.
Nous ne distinguons plus. Deux fois, trois fois de suite, nous avons vu la terre s’entrouvrir et cracher des pierres qui flambaient. Nous courons pliés en deux, poursuivis par les 75, par ces couperets sifflants qui rasent, terribles, les bords du boyau, par ce seul 75 qui tire trop court, qui frappe toujours à la même place, à notre droite.
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C'te crête-là, elle est assez gourmande pour avaler un régiment : premier, deuxième, 3ème bataillon...
Vous en faites pas, y aura du plaisir pour tout l'monde ! Plus vous aurez trinqué, t'entends, plus vous aurez "fait vos preuves", comme ils disent, plus on vous f'ra trinquer encore : la voilà, aujourd'hui la Justice... Vous êtes des troupes sûres, pardi ! Vous êtes un régiment d'élite ! Ça fait riche, c'est décoratif ! Alors vous plaignez pas, si on vous fait payer un peu cher."
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Le bruit court d'un assaut proche, la nouvelle libère l'amertume des hommes...
Il faut qu'ils parlent, dès lors qu'ils ont commencé. On ne peut pas toujours se taire. Il y a des soirs où les pensées se bousculent et font mal, où l'on souhaite les sortir de soi, une à une, et les regarder bien en face.
Des pensées... Ils sont ensemble ; ils pensent ensemble, pauvrement, dans le soir sale qui descend.
"Et quand bien même... dit l'homme qui parle. Monter là-haut, c'est une besogne de troupes fraîches. Nous, les anciens, on a tout préparé ; on s'est esquinté à tout préparer : on n'en peut plus, on tousse, on en a marre. Alors voilà : les troupes fraîches vont s'amener. On leur dira : "C'est là-haut ; la poire est mûre, vous n’avez qu’à la cueillir. » Voilà, j’te dis : et ça c’est la Justice.
- La Justice… dit un autre. Sûrement qu’y en a, des Français d’notre âge qui n’sont pas esquintés comme nous. »
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Une plaque d'acier blindé monte très haut et retombe, comme un couperet de guillotine. Souesme passe devant moi, la face plâtrée de boue jaune, les deux mains sur les reins; derrière lui, Montigny ; derrière encore, Jaffelin: c'est bon; allez-vous-en, ensevelis, blessés, démolis. Je regarde bien, au passage, la crispation de vos visages, l'angoisse presque folle de vos yeux, cette détresse de la mort qui reste vacillante au fond de vos prunelles, comme une flamme sous une eau sombre... Quel sens ? Tout cela n'a pas de sens. Le monde, sur la crête des Éparges, le monde entier danse au long du temps une espèce de farce démente, tournoie autour de moi dans un trémoussement hideux, incompréhensible et grotesque.

Chez toi, Porchon : l'ample Beauce, les champs de blé au crépuscule; les corneilles dans le ciel frais, entre les deux tours de Sainte-Croix... Chez nous, Porchon : la Loire au fil des berges lentes... Quel sens ? Pourquoi ? Des hommes crient dans l' entonnoir 7 entre les rafales d'obus. Encore ! Et de sombres débris soulevés dans la fumée, et leur chute mate heurtant la boue...

C'est alors que ce 210 est tombé. Je l' ai senti à la fois sur ma nuque, assené en massue formidable, et devant moi, fournaise rouge et grondante. Voilà comment un obus vous tue. Je ne bougerai pas mes mains pour les fourrer dans ma poitrine ouverte; si je pouvais les ramener vers moi, j'enfoncerais mes deux mains dans la tiédeur de mes viscères à nu ; si j'étais debout devant moi, je verrais ma trachée pâle, mes poumons et mon coeur à travers mes côtes défoncées. Pas un geste, par pitié pour moi ! Les yeux fermés, comme Laviolette, et mourir seul.
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« Entrez donc, me dit Estelle, qui m’aperçoit par-dessus les têtes. Ces messieurs sont dans la petite salle. »
Ils y sont tous, Jeannot, Hirsch et Muller, les trios de la 5e qui ne se quittent jamais ; Morline, de la 6e, le calme et souriant Morline, qui songe sans cesse à sa maison dévastée par les Boches, mais qui n’en parle pas ; et Thellier, avec sa joue crevée d’une cicatrice, ses dents cassées par une balle de Somaisne.
Je ne peux plus les voir, maintenant, sans qu’une autre vision surgisse entre eux : et c’est, sur une civière fangeuse allongé à même la boue, près de Soriot qui vient de mourir, Maignan sanglant qui va mourir.
Cela passera ; il faudra bien…
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Elles sont infimes, par les gouttes de la bruine, par les écorchures de nos mains gercées, par le tintement d'une gamelle qu'on heurte, par la respiration imperceptible de Lardin ; mais si grandes, si monstrueuses qu'elles soient par l'étalement ignoble des cadavres, par le fracas sans fin des plus lourdes torpilles, elles ne peuvent l'être assez pour dépasser notre force de sentir, pour l' étouffer enfin, aidant notre immense fatigue. Plus nous sommes fatigués, plus notre être s'ouvre et se creuse, avide malgré nous, odieusement, de toute laideur et de toute méchanceté. Que tombent encore ces milliers d'obus, et pour n'importe quelle durée ! Entre les 77, les 150 et les 210, notre ouïe distingue au plus lointain les éclatements. Qu'ils sifflent plus raide encore! Que tout arrive ! Que tous ceux qui doivent être blessés le soient dans cet instant, et s'en aillent ! Que tous ceux qui doivent être tués cessent enfin d'être condamnés !

Le dernier obus qui est tombé dans l'entonnoir 7 a blessé Porchon à la tête. Quelqu'un nous l'a crié par-dessus la levée de terre: enseveli près de Rebière, dégagé avec lui, mais seul blessé d'un éclat léger, il est descendu au poste de secours, à cause du sang qui lui coulait dans l'oeil. Il y a longtemps déjà... Descendrai-je à mon tour, blessé comme lui d'un éclat heureux, mon sang coulant assez pour me contraindre à descendre ?..II ne voulait pas, d'abord; mais il n'y voyait plus, aveuglé par ce ruissellement, et Rebière lui disait: " Descends... Descends, mon vieux... Tu es idiot. "
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20 février ( 1915 )

Un grand balancement de la terre et du ciel à travers le, paupières cuisantes; du froid mouillé; des choses qu'on retrouve dans l' aube blême, les unes après les autres, et toutes; personne de tué dans les ténèbres, personne même d'enseveli malgré l'acharnement des obus: la même terre et les mêmes cadavres; toute la chair qui frémit comme de saccades intérieures, qui danse, profonde et chaude, et fait mal; même plus d'images, cette seule fatigue brûlante que la pluie glace à fleur de peau: et c'est un jour qui revient sur la crête, pendant que toutes les batteries boches continuent de tirer sur elle, sur ce qui reste de nous là-haut, mêlé à la boue, aux cadavres, à la glèbe naguère fertile, souillée maintenant de poisons, de chair morte, inguérissable de notre immonde supplice.

Est-ce qu'ils vont contre-attaquer encore ? Ils ne tirent que sur nous: c'est lâche. Nous savons que le colonel, chaque fois qu'il monte et redescend, téléphone vers le Montgirmont: " Qu'on relève mes hommes! Ils sont à bout! Si les Boches contre-attaquent encore, ils pourront venir avec des gourdins, avec leurs poings nus... " C'est ce que nous pensions, nous, l'autre jour. Ce matin, nous le pensons encore ; mais nous ne le croyons plus. Nous sommes très las, c'est vrai; on devrait nous relever, c'est vrai. Nous sommes presque à bout; presque... Et pourtant, ce matin encore, on a entendu cracher les canons-revolvers de Combres et claquer des coups de mauser: une nouvelle contre-attaque, que nous avons repoussée.

Il ne faut rien exagérer: au-dessous de nous, de l'autre côté du parados, un caporal de la 8e fait mijoter du cassoulet sur un réchaud d'alcool solidifié. Quelques hommes, de la 8e aussi, sont descendus près de lui; l'un d'eux parle du kiosque de sa soeur, marchande de journaux à Paris: " pour qu'elle comprenne les trous qu'ils font, explique-t-il, j'lui écrirai qu'on pourrait y loger au moins deux kiosques comme le sien. Et ça s'ra pas bourrage de crâne, hein, c'est-i' .? vrai "

Le colonel Boisredon a téléphoné une fois de plus: " Trois cents tués au régiment; un millier de blessés; plus de vingt officiers hors de combat, dont dix tués; des tranchées vides, ou du moins "tactiquement" vides; la crête perdue si les Boches contre-attaquent encore... " Le colonel Tillien a répondu: " Qu'ils tiennent. Qu'ils tiennent quand même, coûte que coûte. "

Comme s'ils savaient, les Boches répondent eux aussi. Et , c'est pire, au long du temps martelé d'obus énormes, de chutes sombres et multipliées. Le grand caporal a éteint son réchaud: il est parti, les autres avec lui. On redevient ce qu'on était hier, cette nuit, un peu plus las encore, sans étonnement d'être si las. Et malgré cette fatigue dont nous avons les reins brûlés, une lucidité vibrante rayonne de nous sur le monde, touche doucement et nous donne d'un seul coup toutes les choses que nous percevons, nous les impose entières, si totalement que nous souffrons surtout de cela, de ce pouvoir terrible et nouveau qui nous oblige à subir ainsi, continuellement et tout entières, la laideur et la méchanceté du monde.
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L'homme se tait. Une autre voix, tout de suite, fait écho à la sienne. Il faut qu'ils parlent, dès qu'ils ont commencé. On ne peut pas toujours se taire. Il y a des soirs où les pensées se bousculent et font mal, où l'on souhaite les sortir de soi, une à une, et les regarder bien en face.
Des pensées... Ils sont ensemble ; ils pensent ensemble, pauvrement, dans le soir sale qui descend.
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Et malgré cette fatigue dont nous avons les reins brûlés, une lucidité vibrante rayonne de nous sur le monde, touche doucement et nous donne d'un seul coup toutes les choses que nous percevons, nous les impose entières, si totalement que nous souffrons surtout de cela, de ce pouvoir terrible et nouveau qui nous oblige à subir ainsi, continuellement et tout entières, la laideur et la méchanceté du monde.
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