La Tendresse
Miraculeux printemps dont l’automne est si triste,
Le plus beau sentiment, non, ce n’est pas l’amour ;
Pas l’amour faible et fou, l’amour aveugle et sourd,
Fermant autour de lui sa guirlande égoïste.
Ce n’est pas le respect aux bagues d’améthyste ;
Ni le rêve, laissant ses longs cheveux flotter ;
Ni l’amitié, qui veut la réciprocité,
Ni l’estime, tenant son implacable liste.
Mais Tendresse, c’est toi ! toi, que rien ne ternit.
C’est toi. Tu prends à tous le bouquet de tes charmes ;
L’amour te donne une âme et l’amitié des larmes ;
Tu rajeunis l’instant pour qu’il soit infini...
Et, dans cet instant-là, le cœur, à ce point tremble,
Qu’il sait rire et pleurer et mourir tout ensemble !
La Ronde des mois
Janvier prend la neige pour châle ;
Février fait glisser nos pas ;
Mars de ses doigts de soleil pâle,
Jette des grêlons aux lilas.
Avril s’accroche aux branches vertes ;
Mai travaille aux chapeaux fleuris ;
Juin fait pencher la rose ouverte
Près du beau foin qui craque et rit.
Juillet met les œufs dans leurs coques
Août sur les épis mûrs s’endort ;
Septembre aux grands soirs équivoques,
Glisse partout ses feuilles d’or.
Octobre a toutes les colères,
Novembre a toutes les chansons
Des ruisseaux débordant d’eau claire,
Et Décembre a tous les frissons.
L’Abeille
Le savant gribouri, qu’on nomme « secrétaire »,
Sait écrire son nom sur la vigne du mur ;
La fourmi fait courir des couloirs sous la terre ;
Le papillon construit des chemins dans l’azur ;
L’immense capricorne, au bord d’une prairie,
Semble conduire un char vers un but irréel…
Mais, puisant dans les fleurs de quoi nourrir la vie,
C’est l’abeille qui fait le miel.
Le calosome vert a des corsets d’infante ;
Le notonecte obscur peut nager sur le dos ;
La phyllie est pareille à la feuille naissante ;
La libellule valse en passant les ruisseaux ;
Le carabe est en or, la chenille en peluche ;
La sauterelle va s’assoir au bord du ciel…
Mais, puisant dans les fleurs de quoi nourrir la ruche,
C’est l’abeille qui fait le miel.
On voit jusqu’à dix fois sauter le corymbite ;
En sautant le criquet nous jette un éclair bleu ;
La mante sait prier comme une carmélite ;
La coccinelle rouge est la fille de Dieu ;
Le ver luisant, dans l’herbe, est une étoile brève ;
L’étoile est, dans l’azur, un lampyre éternel…
Mais, puisant dans les fleurs de quoi nourrir le rêve,
C’est l’abeille qui fait le miel !
Bonne année à toutes les choses :
Au monde ! À la mer ! Aux forêts !
Bonne année à toutes les roses
Que l’hiver prépare en secret.
Bonne année à tous ceux qui m’aiment
Et qui m’entendent ici-bas...
Et bonne année aussi quand même
À tous ceux qui ne m’aiment pas !
Le dernier papillon
Quand ne chante plus le grillon
Et qu’on est avant dans l’automne,
Quelque matin gris l’on s’étonne
De voir un dernier papillon.
Plus d’or, d’azur, de vermillon ;
Son coloris est monotone ;
La cendre dont il se festonne
Se mêle au sable du sillon.
D’où vient-il ?… et par quelle porte ?…
Est-ce, parmi la feuille morte,
Le seul des papillons vivants ?
Ou, parmi la neige vivante,
La petite ombre transparente
D’un papillon mort au printemps ?
Rosemonde Gérard. Bonne Année.