Citations sur Le pays des marées (17)
Car le beau n'est rien d'autre
que le commencement du Terrible, quand c'est tout juste
si nous l'entendons encore,
et nous l'admirons parce qu'il dédaigne avec indifférence
de nous détruire¹.
1. Rainer Maria Rike, "Première élégie", in Élégie de Duino, op.. cit. p. 53.
"Sur les rives de tout grand fleuve, tu trouveras un monument à l'extravagance."
Dans leurs sourires, je lis les vers du Poète :
Vois, je suis vivant. Qu'est-ce qui me fait vivre ?
L'enfance ni l'avenir
ne s'amenuisent ... L'être qui jaillit dans mon cœur
m'est donné par surcroît ¹.
1. Rainer Maria Rike, "Neuvième élégie", in Élégie de Duino, op. cit., p. 135.
Car, là où elle avait vu un signe de Bon Bibi, je voyais, moi, le regard du Poète. J'avais l'impression qu'il me disait :
[...] un animal, une bête muette
lève vers nous les yeux,
et nous transperce calmement de son regard.
C'est cela que l'on nomme le destin ¹...
1. Rainer Maria Rike, "Huitième élégie", in Élégie de Duino, op. cit., p. 121.
Kanak éclata de rire : «Moyna, c'est vrai qu'il est votre mari, mais, alors, pourquoi ne pas lui parler vous-même? Pourquoi voulez que je le fasse à votre place?
- C'est parce qu'il est mon mari que je ne peux pas lui parler, Kanai-babu. Seul un étranger peut traduire ces choses en mots.
- Pourquoi serait-ce plus facile pour un étranger?
- Parce que les mots ne sont que de l'air, Kanai-babu. Quand le vent souffle sur l'eau, vous voyez des ondulations et des vagues, mais la vraie rivière coule en dessous, sans qu'on la voie ni qu'on l'entende. On ne peut pas depuis le fond souffler sur la surface, Kanai-babu. Seul quelqu'un qui est à l'extérieur peut le faire, quelqu'un comme vous.»
Comment mieux louer le monde qu'en faisant ce que le Poète souhaiterait nous voir faire : en parlant de potiers et de cordeliers, en parlant de
ce qui est simple et qui,
de génération en génération façonné,
vit d'une vie qui nous appartient, à portée de main,
sous nos yeux¹.
1. Rainer Maria Rike, "Neuvième élégie", in Élégies de Duino, op. cit. p. 133.
Je sentis quelque chose changer en moi : quel étonnement pour un maitre d'école vieillissant, amateur de lecture, de vivre pour voir ceci, une expérience, imaginée non par ceux qui possédaient instruction et pouvoir mais par ceux qui n'en avaient pas!
J'avais un livre à la main pour passer le temps et il me vint à l'esprit que, dans un sens, un paysage n'est pas sans ressemblance avec un bouquin – un ensemble de pages qui se chevauchent sans que deux d'entre elles soient jamais pareilles. Les gens ouvrent le livre selon leur goût et leur éducation, leurs souvenirs et leurs désirs : pour un géologue, l'ensemble s'ouvre à une page, à une autre pour un batelier et encore à une autre pour le barreur d'un navire, un peintre, etc. Parfois, ces pages sont striées de lignes invisibles pour certaines personnes alors qu'elles sont pour d'autres aussi réelles, aussi chargées et aussi explosives que des câbles à haute tension.
Sa mauvaise prononciation indiquait bien que c'était littéralement la vérité : comme tous les étrangers du monde, elle avait appris juste assez la langue pour signaler son incapacité à la comprendre.
Quand je pense à toutes ces années où je n'avais rien que du temps et durant lesquelles, pourtant je n'ai pas écrit un seul mot...Et maintenant ,telle un Shéhérazade mal située, mal sexuée, j'essaie d"une plume volante , fugace, de conjurer la nuit.