J’appartiens à l’une des plus vieilles familles d’Orsenna, une cité-État de la mer des Syrtes, située juste en face du Farghestan. Inutile de chercher la localisation de cette contrée lointaine sur Google Maps. Devenue terre d’Islam, elle a été entièrement détruite, puis remodelée et rebaptisée après une longue guerre dont on a peu parlé ici, en Occident. J’ai toujours eu une conscience floue mais réelle de la noblesse de mes origines, avant d’en avoir la confirmation le jour de mes seize ans. J’avais alors découvert un livre posé sur mon bureau. « Pour que tu saches d’où tu viens! » J’ai reçu cette dédicace comme un électrochoc. Ce n’était qu’un encouragement, mais la lecture s’est imposée comme une nécessité vitale et je m’y suis immergé illico. Mon père – son écriture fine et tortueuse valait toutes les signatures – parlait-il d’un lieu ou bien de nos origines familiales? Il avait pris soin de placer un magnifique couteau damassé à la courbure typiquement orientale sur la couverture. Le connaissant, j’imaginais qu’il me livrait là un indice tout en m’offrant l’outil idéal pour couper les pages de cet ouvrage mystérieux, Le Rivage des Syrtes, écrit par Julien Gracq et publié aux éditions José Corti. J’étais bon lecteur, mais je n’avais jamais entendu parler de cet auteur délaissé par mes professeurs de français, et jusqu’alors absent d’une vaste bibliothèque familiale dont je connaissais tous les livres, même ceux que je n’avais pas eu le temps ou le courage de dévorer.
Julien Gracq et ses exégètes n'osent pas le dire, mais l'italique est un instrument de torture.
L'âge et l'expérience avait fait de moi une éminence grise alors que je rêvais encore de devenir l'homme d'action que je n'avais jamais réellement été. Le mythe de James Bond ne m'avait pas quitté.
Ma plus belle prise de guerre fut un portrait féminin de Martial Raysse, pourtant activement recherché par le Centre Pompidou à l'occasion de la rétrospective du peintre en 2014. Le plaisir esthétique quotidien de la contemplation de cette femme ornée de plumes, protégée et magnifiée derrière sa vitrine, était accentué par ma jouissance transgressive de receleur de trésors d'Etat.